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Des Sénégalais passent (1917)
Des Sénégalais passent, 1917, par Théophile Steinlen
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Les bataillons de tirailleurs sénégalais à l’épreuve du 16 avril 1917

« Il faut y aller avec tous les moyens et ne pas ménager le sang noir, pour conserver un peu le blanc  » écrit Robert Nivelle dans une note du 21 janvier 1917, alors qu’il prépare l’offensive du printemps, après avoir succédé à Joseph Joffre un mois plus tôt. Si le nouveau généralisme des armées françaises raie cette remarque dans la note qu’il adresse au ministre de la Guerre Hubert Lyautey un mois plus tard, ces mots n’en traduisent pas moins la pensée du commandement français qui, alors que la guerre s’enlise, voit dans les tirailleurs sénégalais une troupe d’élite dont le potentiel offensif est à utiliser pour rompre le front. C’est ainsi qu’une vingtaine de bataillons de tirailleurs sénégalais (BTS), après un hivernage difficile dans les camps de Fréjus (Var) et du Courneau (Gironde), prennent le chemin du front pour rejoindre les 1er et 2e corps d’armée colonial (CAC) au sein de la 6e armée à laquelle ils sont rattachés pour l’offensive du printemps 1917. 

Carte du front offensif de la VIe armée, à la date du 15 avril 1917

Bambaras, Malinkés, Wolofs, Toucouleurs ou encore Mossis, Zarmas et Haoussas , ils venaient des pays que l’on nomme désormais Mali, Sénégal, Guinée, Burkina Faso, Bénin ou Niger, mais on les appelait les tirailleurs sénégalais. On estime aujourd’hui que près de 165 000 combattants noirs venus de tous les territoires de l’ancienne Afrique Occidentale française ont participé aux combats de la Première Guerre mondiale, auxquels on peut ajouter les 17 000 tirailleurs recrutés en Afrique Equatoriale française. La tragique histoire de leur recrutement, qui a même mené à une révolte entre novembre 1915 et septembre 1916, et a été largement étudiée et récemment remise en lumière par le film Tirailleurs et par les travaux d’Anthony Guyon .

Cependant l’étude de leur engagement au Chemin des Dames mérite également d’être menée afin de comprendre dans quelles conditions ces hommes vont être jetés dans « l’offensive Nivelle » du 16 avril 1917. 

Pour cela les journaux des marches et opérations (JMO) des bataillons de tirailleurs sénégalais (BTS) restent une source précieuse, mais ils ne sont malheureusement pas tous disponibles. Croisés avec ceux des divisions d’infanterie coloniales et des services de santé, ils permettent cependant de dessiner le paysage de l’engagement de ces bataillons lors de cette funeste offensive, ce que nous allons tenter de faire en commençant par le secteur d’attaque du 1er corps d’armée colonial (CAC) positionné entre la forêt de Saint-Gobain et les contreforts ouest du Chemin des Dames, puis celui du 2e CAC déployé du sud-est de Cerny-en-Laonnois jusqu’à la Vallée Foulon.

 

Tirailleurs sénégalais sur les boulevards parisiens en 1916 Raymond Poincaré et le général Mangin passent en revue les bataillons de tirailleurs sénégalais

 

 

 

 

 

A l’assaut du Mont des Singes et de la ferme Moisy

Disposé de part et d’autre du canal de l’Oise à l’Aisne, à l’ombre du Mont des Singes et des hauteurs de Laffaux, le 1er CAC se compose alors notamment de la 3e division d’infanterie coloniale (DIC), installée dans le secteur du bois de Mortier au nord et celui de Vauxaillon au sud, et de la 2e DIC sur sa droite, faisant face aux tranchées de la 211. Infanterie-Division de l’armée allemande jusque Laffaux. Parmi les unités de tirailleurs sénégalais engagées dans ce secteur, on relève les 5e, 51e, 59e, 61e, 62e, 64e et 65e BTS, qui vont être engagées soit en unités constituées, soit réparties pour renforcer les dispositifs d’attaque en fonction des besoins. Les 13, 14 et 15 avril, les hommes qui vont partir à l’assaut perçoivent leurs grenades et matériels divers, complément de vivres de réserves tandis que leurs cadres effectuent des reconnaissances des positions à occuper . Si leur objectif ne constitue pas le point central de l’offensive où les troupes françaises devront faire peser leur effort, leur mission consiste à prendre les positions allemandes à l’est de Vauxaillon pour faire pression sur le flanc ouest du front allemand, pendant que le reste de la 6e armée partira à l’assaut du Chemin des Dames.

Ordre de bataille allemand sur le Chemin des Dames
Ordre de bataille allemand sur le Chemin des Dames © Bundesarchiv PH 3 KART 574

Le 16 avril 1917 à 9h, les troupes de la 3e DIC s’élancent donc à l’assaut des tranchées de première ligne allemande. Dans la plaine, la tranchée de l’Aviatik est rapidement conquise tandis que les trois vagues d’assaut des tirailleurs du 61e BTS prennent possession des tranchées de l’Entrepont et du Mont des Singes tenues par la 211. Infanterie-Division, non sans une résistance particulièrement soutenue des mitrailleuses allemandes . En effet les combats pour achever la conquête du Mont des Singes sont rudes et le nettoyage des abris et des nids de mitrailleuses se caractérise par un intense combat à la grenade et après épuisement des munitions, les grenades allemandes sont aussi utilisées . Vers 10h15, le JMO du 61e BTS mentionne même des tireurs isolés placés dans les arbres , et afin de renforcer ce bataillon durement

Cartes des tranchées dans le secteur du Mont des Singes à la fin de l'année 1917

 éprouvé, une compagnie du 5e BTS est envoyée dans la tranchée de l’Entrepont, et l’après-midi se poursuit par la consolidation des positions conquises.    
De leur côté, après avoir conquis les tranchées au sud du Mont des Singes jusqu’à la ferme Moisy, les tirailleurs du 59e BTS parviennent même au-delà des tranchées du Cocotier et de l’Amandier à l’Est de la ferme Moisy. Sur leur droite, les tirailleurs du 64e BTS, partis de la voie ferrée, atteignent dès 9h05 l’éperon de Moisy, à 150 m de la tranchée du Cacatoès, et prennent cette dernière à 11h25 où ils restent en réserve. A 13h27 les tirailleurs sénégalais tiennent tout le plateau au Nord de la ferme Moisy et des éléments ont déjà progressé vers l’Est .

Toutefois, la situation des tirailleurs sur le plateau est précaire et ils doivent rapidement faire face à des contre-attaques allemandes. Ainsi à 17h, le 59e BTS doit se replier sur la crête à l’Est et au nord-est de la ferme Moisy . A 19h, après un violent bombardement, une violente contre-attaque allemande continuer de repousser les troupes françaises . Sur le Mont des Singes, le 61e BTS est lui-aussi contre-attaqué et les ordres, aussi surprenant soient-ils, sont alors « de ne pas bouger, de mettre baïonnette au canon et d’attendre, sans tirer un coup de fusil, pour recevoir à la grenade et à la baïonnette l’ennemi s’il tente d’approcher » . La lutte est cependant inégale vu les pertes de la journée et le manque de ravitaillement en munitions qui peine à atteindre le plateau. Dans la nuit, ordre est donc donné de reprendre les positions de départ le long de la voie ferrée de Vauxaillon.    
Quand le jour se lève sur le 17 avril, les contre-attaques allemandes ont réussi à repousser les tirailleurs du Mont des Singes à la ferme Moisy, les troupes françaises ne conservant en définitive que la tranchée de l’Aviatik, en contrebas du Mont des Singes, dans la vallée de l’Ailette. A l’heure du bilan, les gains en territoire sont faibles au prorata de l’effort fourni. Quant aux pertes humaines, elles sont assez lourdes pour les effectifs engagés, et même si l’on ne dispose pas de tous les chiffres, certains exemples restent parlants. Ainsi le 61e BTS déplore 284 tués, blessés et disparus  tandis que de leur côté, les 2 compagnies du 64e BTS engagées dénombrent à elles-seules 246 hommes tués, blessés ou portés disparus. En définitive, si la capacité offensive des tirailleurs africains a montré une fois encore toute sa valeur malgré le froid et la boue en prenant de force de solides positions allemandes telles que celles du Mont des Singes, les conditions météorologiques de leur emploi ont particulièrement éprouvé leur état physique, jugé « médiocre » dès le lendemain à cause du temps froid et pluvieux, qui entraine chaque jour de nombreuses évacuations . Ces hommes ne seront malheureusement pas les seuls à subir ce sort, puisque le 2e CAC va lui aussi devoir affronter les défenses allemandes dans des conditions météorologiques difficiles.

Sur le plateau entre Cerny et Ailles

    Alors que le 1er CAC s’est déployé à l’ouest du Chemin des Dames, à l’extrémité Est du dispositif offensif de la 6e armée, le 2e CAC se compose quant à lui des 10e et 15e DIC, et doit se déployer du sud-est de Cerny-en-Laonnois à la Vallée Foulon, avec au sein de ces grandes unités les 6e, 43e, 48e, 66e, 67e, 68e, 69e, 70e, 71e et 88e bataillons de tirailleurs sénégalais. La plupart de ces bataillons débarquent à Fère-en-Tardenois entre le 29 mars et le 4 avril après avoir quitté Fréjus, Bordeaux ou Bayonne deux à trois jours auparavant , et se dirigent vers le front quelques jours plus tard. Cette avancée vers le front n’est pas sans risque pour les tirailleurs, qui ne sont pas à l’abri des pièces d’artillerie allemandes à longue portée. C’est ainsi qu’au 67e BTS, les caporaux Dunamoné Kaboré, Fabory Kamara et le tirailleur Semba Ido de la 2e compagnie sont blessés le 12 avril par deux obus qui frappent la colonne alors que les rues de Fismes sont complètement engorgées par l’afflux des troupes françaises qui transitent par la ville. Le même jour, les 67e et 70e BTS s’arriveront à Révillon qu’à 22h après une marche pénible dans la boue et la pluie.    

Les jours qui précèdent l’attaque sont en effet particulièrement difficiles en termes de préparatifs, les conditions atmosphériques étant particulièrement défavorables à l’observation aérienne  dans ce secteur également, perturbant la reconnaissance du terrain d’attaque et la recherche de renseignements pour l’artillerie afin d’améliorer la précision et l’efficacité des tirs. Profitant du mauvais temps, et pressentant une offensive prochaine, les Allemands tentent même de leur côté un coup de main dans le secteur de la 15e DIC le 14 avril, mais celui-ci ne leur révèle sans doute rien, puisque ce n’est que le 15 avril à 16h que les chefs de section reçoivent les boussoles et les cartes du secteur comme il est d’usage pour justement parer à ce risque. Il en résulte aussi que les officiers ne disposent alors que de peu de temps pour se repérer sur le terrain, tandis que leurs hommes participent à l’aménagement des positions de départ, et sont notamment chargés de l’approvisionnement des positions d’artillerie de tranchées en munitions. C’est ainsi que le 15 avril, la 2e compagnie du 66e BTS monte 870 torpilles en première ligne dans la nuit avant de gagner ses emplacements de départ, où elle perçoit ses grenades en vue de l’assaut. 

Carte des tranchées du 3 janvier 1917
Cartes des tranchées du 3 janvier 1917 © SHD

Quand la nuit tombe la veille de l’attaque, la température s’abaisse peu à peu et la neige commence à tomber, alternant avec les « marmites » allemande, si bien que lorsque le jour se lève sur le 16 avril, les tirailleurs sont décrits comme « complètement engourdis par le froid et incapables de réagir  ». Néanmoins, après une préparation d’artillerie de près de 25 000 obus par jour durant plusieurs jours, les vagues d’assaut de la 15e DIC s’élancent à partir de 6h, demi-heure par demi-heure , conformément au plan d’engagement. A la 2e compagnie du 66e BTS, les tirailleurs s’engagent dans le boyau de Béthune et passent en terrain découvert en colonne d’escouade par un, franchissant la tranchée de Franconie et la tranchée Kirberg avant de s’arrêter devant le feu des mitrailleuses allemandes. Les tirailleurs de la 2e compagnie du 67e BTS ne font pas mieux et leur élan vient aussi se briser sur les feux des mitrailleuses de la 16. Reserve-Division allemande installées dans la tranchée de la Bovelle et dans la tranchée de Sadowa. Au 70e BTS, après avoir traversé les trois premières lignes allemandes, les tirailleurs viennent eux-aussi se heurter à la ligne de blockhaus de mitrailleuses non détruits sur la tranchée de Sadowa, et restent seuls en pointe à la fonction des boyaux de Juliers et de Trèves.    
 

Cartes des tranchées allemandes du 25 mars 1917
Carte des tranchées allemandes du 25 mars 1917 © SHD

Les vagues d’assaut s’étant brisées sur les défenses allemandes , l’infanterie coloniale et les tirailleurs sénégalais qui les épaulent doivent alors s’arrêter sur les tranchées de Dresde, Deimling et une partie de la tranchée de Sadowa, en attendant que le barrage d’artillerie, qui s’est stabilisé sur la ligne prévue pour H+1h30, soit reporté sur la ligne prévue pour H+0h30. Toute la journée ils y subissent des contre-attaques à la grenade et à l’arme blanche soutenues par de nombreux tirs de mitrailleuses  tandis que les pertes et le manque de munitions se font sentir. A 15h, il ne restait du 70e BTS que 5 officiers, 12 sous-officiers et 92 tirailleurs, la plupart des hommes encore valides s’étant reportés vers l’arrière, ayant perdu leurs officiers .    
Après une nuit passée sous la neige et sans ravitaillement en munitions, les contre-attaques allemandes obligent les derniers éléments qui occupaient la tranchée de Sadowa à se replier sur la tranchée de Battemberg et la tranchée Camberg. En définitive, d’après le JMO de la 15e DIC, la 1ère ligne française occupait, au lever du jour le 17 avril, de l’est à l’ouest : les tranchées de Battemberg et Camberg entre les boyaux Toc et Nix, point 7119, boyau de Juliers jusqu’à la tranchée Bruckner, tranchée Brahms, jusqu’au boyau de la Strypa, point 6117, 5917, 5916, tranchée Hayu à 50 m ouest de la tranchée de l’Ebre. La percée tant attendue était un échec. Du point de vue des pertes, la 15e DIC ne parviendra à établir un décompte global de ses pertes que le 18 avril, ce qui en dit long de la désorganisation et des pertes subies : 120 officiers et 4000 hommes mis hors de combat pour 600 Allemands faits prisonniers. Certains décomptes plus précis tirés des JMO qui en ont tenu sont là-encore parlants. A la 2e compagnie du 66e BTS, on compte 5 tirailleurs tués, 30 blessés et 46 disparus . Au 66e BTS, on dénombre à la fin de la journée du 16 avril 31 tués, 151 blessés et 122 disparus . Au 70e BTS on compte 67 tués, 216 blessés et 52 disparus . Au 67e BTS, qui comptait le 28 mars 663 tirailleurs sur 1035 hommes le 28 mars , on compte 61 tués, 214 blessés et 83 disparus . Mais si la 15e DIC est durement éprouvée suite à cette attaque, sa voisine l’est aussi, et même davantage.

Du poteau d’Ailles à l’isthme d’Hurtebise

Dans le secteur de la 10e DIC, les unités arrivent en ligne le 15 avril après une marche très pénible entreprise la veille dans les boyaux détrempés par les pluies, la neige et la boue, et bouleversés par le tir de l’artillerie allemande. C’est dans ces conditions que le 68e BTS rejoint les premières lignes à l’Est du poteau d’Ailles par les boyaux de Toulouse et de Montauban, devant sortir de la tranchée de Tulle le 16 avril. Dans le même secteur arrive également le 69e BTS, qui se place en arrière du 68e BTS, dans la tranchée de la Corrèze. L’ensemble de ces unités s’intègrent alors, aux cotés d’autres régiments d’infanterie coloniale, au sein du groupement Petitdemange à l’ouest et du groupement Quérette à l’est. Au sein du premier, on retrouve les 68e, 69e et 71e BTS qui forment le 58e régiment d’infanterie coloniale sénégalais (RICS) et le 88e BTS, lui-même réparti au sein des 52e et 53e RIC. Quant aux 6e, 43e et 48e BTS, on les retrouve aux côtés du 33e RIC au sein du second, avec pour objectif d’atteindre la vallée de l’Ailette en trois heures .    
Dans la soirée du 15 avril, les compagnies du 69e BTS reçoivent l’ordre de pratiquer en face de chaque escouade un escalier de franchissement de chaque côté de la tranchée afin de faciliter le passage des unités venant derrière leur bataillon. Rejoints par le 71e BTS, c’est tout le dispositif qui se met en place quelques heures avant le lever du jour.    
 

Carte des tranchées du 25 mars 1917 © SHD
 Carte des tranchées du 25 mars 1917 © SHD

A 6h, le 16 avril, tout comme dans le secteur voisin de la 15e DIC, les vagues d’assaut s’élancent derrière le barrage d’artillerie à un rythme de 100 mètres toutes les 5 minutes et dès le départ les hommes tombent sous le feu des mitrailleuses. Au groupement Petitdemange, la 2e compagnie du 68e BTS, en tête de colonne, est presque anéantie par le tir des mitrailleuses entre les tranchées de Weimar et de Winterberg, et perd tous ses officiers. A 6h10, le 69e BTS emboite le pas au 68e BTS, suivi à 6h45 par le 71e BTS. Quant aux compagnies du 88e BTS, rattachées au 52e et 53e RIC dont elles ne connaissent pas les cadres, elles sont rapidement dispersées et se rallient de fait aux bataillons du 58e RICS.    

Durant toute leur progression ces unités subirent le feu des mitrailleuses et le tir de barrage de l’artillerie lourde allemande, mais aussi vers 7h25 le tir des mitrailleuses des avions allemands volant très bas. Traversant les tranchées de Winterberg et de Weimar, les tirailleurs nettoient les abris et commencent à faire des prisonniers. Après de nombreux efforts, la 3e compagnie du 68e BTS parvient à atteindre la pente surplombant le village de Ailles à 7h au niveau de la tranchée de Bonn, mais dans quel état… il ne lui reste que 40 fusils. Les éléments de tête arrivent presque aux premières habitations de Ailles mais pris sous le feu de nombreuses mitrailleuses disséminées un peu partout, ils sont presque complètement anéantis tandis que le reste du bataillon s’arrête sur la crête du plateau. Sur sa droite, après avoir traversé un réseau de fil de fer intact sous le feu des mitrailleuses, le 69e BTS arrive sur la tranchée d’Essen presque en même temps et commence à la mettre en défense non sans mal, puisque sa compagnie de mitrailleuses a déjà perdu 48 hommes sur 70, sans compter 14 cas de gelure . Ils sont rejoints à 10h30 par le 71e BTS qui s’installe en position d’attente dans le boyau de Rudolstadt, à la hauteur de la tranchée Winterberg.    

Ne pouvant poursuivre plus avant sa progression, le groupement, commandé depuis 8h30 par le lieutenant-colonel Debieuvre – le colonel Petitdemange ayant été blessé – reste sur ses positions et les consolide. Ainsi les 68e et 69e BTS aménagent les tranchées d’Essen et de Bonn pour les tenir, et il faut sur ce point rendre d’ailleurs hommage au coup d’œil du capitaine Desnuelles, du 69e BTS. En effet, là où dans de nombreux secteurs des officiers continuent de pousser leurs hommes vers l’avant, le capitaine Desnuelles, conscient de l’impossibilité de progresser, décide non seulement de rester sur la tranchée d’Essen, qui ne fait alors que 30 cm de profondeur moyenne, mais demande à ses hommes de l’aménager dans les règles (masques individuels, banquette de tir) pour la mettre en défense dès 7h45 ! Une décision qui jouera très certainement sur la solidité des positions françaises dans ce secteur, qui tiendront malgré des conditions extrêmes que rapporte le JMO du 68e BTS : « les armes furent remises en état, mais la pluie et les rafales de neige qui survinrent peu après rendirent ces précautions à peu près illusoires. En dehors des services rendus par les mitrailleuses en position, c’est en réalité la grenade qui a sauvé la situation ». Dans la soirée du 16 avril, ils font d’ailleurs face à un bombardement intense sur la tranchée d’Essen et le boyau de Rudolstadt, et repoussent toutes les patrouilles allemandes. Dans la matinée du 18 avril, faute de pouvoir se servir de l’armement individuel, deux dernières contre-attaques allemandes sont repoussées à la grenade, avant que les tirailleurs ne soient relevés et puisse prendre un repas chaud à l’arrière, le premier depuis plusieurs jours.

Blessés allemands et un tirailleurs africains à Liesse 1917
Blessés allemands et un tirailleurs africains à Liesse 1917 © Coll. dép. Aisne

A droite du groupement Petitdemange, le groupement Quérette ne rencontre tout d’abord que peu de réaction, et pour cause, les défenseurs allemands de la 19. Reserve-Division allemande sont à l’abri dans les creutes de la ferme d’Hurtebise et de la Caverne du Dragon entre autres. Au centre du dispositif, les tirailleurs du 6e BTS se retrouvent ainsi rapidement sous le feu des mitrailleuses allemandes qui apparaissent derrière eux et ne peuvent dépasser le doigt d’Hurtebise et le secteur du Monument. Dans la vallée Foulon, les bataillons de réserve se retrouvent eux-aussi bloqués par les mitrailleuses allemandes ayant surgit sur les arrières de la première vague, et ne peuvent gravir rapidement la pente du Chemin des Dames.    
A leur droite, un bataillon du 33e RIC dépasse pourtant le plateau et parvient au bois de Vauclerc mais est stoppé net par le tir des mitrailleuses allemandes au mamelon 147.4, et le colonel Quérette, commandant le groupement, y est lui-même blessé. Arrivant en 2e vague, les 977 hommes du 43e BTS – qui s’est illustré l’année passée lors de la reprise du fort de Douaumont – franchissent les parallèles de départ à 7h en colonne double et réussissent à gravir la pente jusqu’à la ferme d’Hurtebise mais y sont arrêtés par des mitrailleuses installées dans la ferme. Immédiatement derrière le 43e BTS suit le 48e BTS, qui progresse par petits groupes d’entonnoirs en entonnoirs. C’est probablement à ce moment qu’un incident survient au sein de ce bataillon, qui fait l’objet d’un signalement particulier dans le JMO de la part du capitaine Gosset. En effet, ne possédant pas de musettes spéciales pour le transport des grenades, ces dernières sont placées en vrac dans les musettes ordinaires. Toutefois les goupilles étant d’un métal trop malléable, cela produit des incidents : « Par suite des frottements contre les parois des boyaux obstrués et en raison de la nécessité de se coucher pendant les rafales, il s’est produit par 3 fois des éclatements de grenades dans les musettes, la cuillère se trouvant libérée sans que le porteur puisse s’en apercevoir. Il en est résulté trois explosions occasionnant la mort des porteurs de grenades et des blessures graves aux voisins ». 

Tirailleurs prisonniers à Montaigu 1917

    

Contournant l’obstacle que représente la ferme d’Hurtebise, les compagnies de droite du 43e BTS continuent leur progression vers le bois B2, en lisière de la forêt de Vauclerc tandis que la colonne de gauche est stoppée par les mitrailleuses allemandes entre le Monument et la cote 174 (Carrefour d’Hurtebise), ne parvenant à faire passer que deux sections plus au nord . A 10h, les éléments qui avaient essayé de progresser vers le bois B2 reviennent au nord de la ferme d’Hurtebise sur l’indication donnée par un capitaine du 6e BTS de l’inutilité de chercher à progresser dans cette direction, trop bien défendue en mitrailleuses et réseaux de fil de fer. A 12h, le 48e BTS reçoit l’ordre de prolonger la ligne du 43e BTS et parvient difficilement à occuper la tranchée des Frisches puis la tranchée de l’Abri, les tirailleurs peinant à circuler dans les étroits boyaux englués dans la boue.     
Dès la fin de la matinée, le front de la 10e DIC est figé à la fois par la résistance allemande et par les tirs de l’artillerie lourde française qui balaye les lisières sud de la forêt de Vauclerc, et un trou de trois cents mètres toujours occupé par les troupes de la 19. Reserve-Division entre le Monument et la ferme d’Hurtebise, et interdit encore l’accès d’une partie du plateau aux troupes françaises. Vers 20h, le front est toujours stabilisé, mais les positions françaises autour de la ferme d’Hurtebise sont l’objet de nombreux tirs d’artillerie allemands, précurseur de plusieurs contre-attaques le lendemain, qui obligent les tirailleurs à rester vigilants dans la nuit froide. A l’issue de la journée du 17 avril, l’état des lieux des capacités combattives du 48e BTS – sans doute comme beaucoup d’autres unités de tirailleurs à ce moment là – est ainsi décrit dans son JMO : « Le bataillon ne possède que des fusils modèle 1907 avec 120 cartouches par hommes et 6 FM. Les armes n’ont pu être entretenues de façon à permettre des tirs rapides ni même des feux nourris. Pas de grenades, pas de fusées éclairantes, pas de code de signalisation, pas de fusées signaux. En un mot les tirailleurs n’ont que quelques cartouches, leur baïonnette et leur coupe-coupe, les fusils sont en trop mauvais état d’entretien pour être utilisés dans de bonnes conditions ».

Avec une attaque brisée en quelques heures et une méconnaissance des positions défensives allemandes qui s’appuyait sur de nombreuses carrières souterraines, le bilan dans le secteur de la 10e DIC est sans doute le plus lourd de tous avec 754 tués, 3113 blessés et 1599 disparus recensés au bout de plusieurs jours. Le service de santé signale avoir vu passer 1100 blessés à l’ambulance divisionnaire de Vassogne et 600 au PS du GBD/10 au village de Vassogne. Du 16 au 19 avril, le service de santé signale par ailleurs avoir évacué en chiffres ronds 2000 blessés. Tout comme dans les autres divisions, le détail de ces pertes par bataillons n’est pas toujours disponible, mais permet de se représenter les pertes subies par les bataillons de tirailleurs sénégalais en particulier. Au 88e BTS, dont les compagnies étaient rattachées aux 52e et 53e RIC pour l’attaque, on déplore 36 tués, 272 blessés et 115 disparus. Au 68e BTS, le JMO, fait rare à la lecture des nombreux JMO des bataillons de tirailleurs sénégalais, ne fait pas de différence entre les pertes européennes et indigènes, et donne tous les noms des 49 tués, 181 blessés et 191 disparus du bataillon. De son coté le 69e BTS déplore 32 tirailleurs tués, 279 blessés et 35 disparus au cours de l’attaque et dans les jours qui ont suivi . Enfin le 71e BTS qui arrivait en soutien derrière eux, compte tous les noms des 53 tués, 198 blessés et 194 disparus au cours des combats du 16 au 18 avril, sans compter les cas de gelure. Du côté du groupement Quérette, le 6e BTS est de loin le plus touché avec 63 tués, 429 blessés et 71 disparus . Enfin au 43e BTS, on relève 29 tués, 196 blessés et 42 disparus  tandis qu’au 48e BTS on note 369 hommes tués, blessés ou portés disparus.

Un désastre humain et sanitaire

« Les pauvres, dans la tourmente de neige et le vent glacial qui les fouette, sont transis de froid et paraissent souffrir ; ils marchent comme des bêtes, rêvant sans doute à leur village paisible écrasé sous le soleil ou au grand silence clair de leurs nuits d’Afrique que trouble seul l’aboi des chiens errants » écrivit le lieutenant Joseph Tézenas du Montcel, du 5e RIC. Avec de la neige fondue durant plusieurs jours et des températures variant entre -1 et 0 °C il n’est, en effet, plus un secret que le 16 avril 1917 fut une journée particulièrement difficile pour les combattants qui la vécurent, a fortiori pour des tirailleurs africains qui, quinze jours plus tôt, étaient encore dans le sud de la France. Le JMO du service de santé de la 10e DIC est lui-même particulièrement lucide sur les évènements et le désastre humain et sanitaire qui s’est déroulé lors de cette offensive : « Aucune des prévisions minutieuses du service de santé ne correspond à la réalité. Neige le 16, le 17 et le 18 ». Dès le 11 avril, on relève dans le JMO du 66e BTS qu’un homme rentre à l’hôpital pour œdème des pieds, puis sept le lendemain, cinq autres le surlendemain, rejoints le 14 avril par 18 tirailleurs évacués pour « œdème et bronchite ». La veille de l’attaque, ce sont 80 autres tirailleurs qui sont évacués au sein de la même unité pour les mêmes symptômes, laissant augurer le pire. Dans le journal des marches et opérations du 68e BTS, on peut lire que dans la nuit du 15 au 16 avril, les tirailleurs durent supporter de la pluie toute la nuit, enfoncés dans la boue jusqu’aux genoux, souffrant beaucoup du froid. On ne peut aussi mettre de côté une information que l’on retrouve dans le JMO de la 4e compagnie du 66e BTS : « 13 avril : le tirailleur de 2e classe Paleva Savadogo 19965 s’est suicidé à côté des cuisines en se tirant un coup de fusil ». Sans connaître les raisons de son acte, on imagine qu’elles devaient être nombreuses à quelques jours d’affronter une mort certaine. 

Tirailleurs sénégalais descendant des lignes à Paissy le 19 avril 1917
Tirailleurs sénégalais descendant des lignes à Paissy le 19 avril 1917 © La Contemporaine

Les conditions météorologiques exécrables occasionnent rapidement de nombreuses blessures dues au froid comme les pieds gelés ou des congestions pulmonaires, mais ils vont néanmoins devoir aller au combat. De courage, ces hommes n’en ont certainement pas manqué si l’on en croit les citations reçues mentionnant ce contexte sanitaire, comme le sergent Baba Diarra, cité à l’ordre du 1er CAC pour être resté à son poste malgré des gelures aux pieds. Au 68e BTS, on relève dans le JMO que les tirailleurs « tiennent leurs positions durant deux jours malgré le froid, la pluie, la neige et un bombardement constant d’une exceptionnelle intensité. La plupart des tirailleurs ayant les pieds et les mains atteints de gelure, sont restés néanmoins vigilants à leur poste. Comme la plupart d’entre eux n’avaient plus la possibilité matérielle de nettoyer leurs armes enduites d’une épaisse couche de boue ce furent les Européens qui s’employèrent à la remise en état de l’armement ».     

Au 69e BTS, le JMO indique que le 17 avril « les indigènes souffrirent beaucoup du froid et de la pluie qui ne cessa de tomber toute la nuit, autant que du bombardement » et précise même que si l’entrain des tirailleurs fut « magnifique » le 16 avril, la nuit du 16 au 17 rendit « leur puissance combattive presque nulle, par suite de la persistance du froid et de la pluie », ce même JMO précisant que la plupart des tirailleurs ont alors les pieds et les mains enflés. A la 4e compagnie du 67e BTS, le 17 avril, le JMO signale que certains tirailleurs ne peuvent plus marcher, et 25 sont évacués le 18 après la relève. Trois jours plus tard, ce qu’il reste de cette compagnie renvoyée vers l’arrière doit être transporté en automobile, ne pouvant plus poursuivre sa marche, cas de figure que l’on retrouve également à la 10e DIC. Au 70e BTS, en plus de la neige, de la pluie et du froid, les tirailleurs qui ne disposent pas d’abris n’ont rien à manger du 17 au 19, ayant égaré leurs quatre jours de vivres au cours des combats. Le 17 avril, au 67e BTS, on envoie des gradés dans toutes les directions pour ramener les isolés et 250 hommes complètement annihilés par le froid sont retrouvés, et la relève est plus difficile encore, les hommes étant « enlisés dans la boue épaisse et gluante » ainsi que le rapporte le JMO. Enfin, le constat du capitaine Gosset du 48e BTS est lui-aussi sans appel sur le potentiel combattif de son unité : « Les tirailleurs n’ont absorbé ni nourriture ni liquides chauds depuis 48 heures. Le ravitaillement en eau portable n’a pas été fait depuis la même durée. Par suite de la neige, du froid, de la veille de la nuit précédent l’attaque passée au bivouac et des fatigues supportées la nuit dernière (sans sommeil, tout l’effectif tenu en alerte en prévision de contre-attaques), le capitaine commandant provisoirement à la devoir de déclarer que les restes du 48e Bataillon sont dans un état physique et moral tel qu’il parait nécessaire de le reporter en arrière sans délai ».     

Outre des conditions de combat particulièrement extrêmes, la prise en charge des blessés est elle-aussi chaotique le 16 avril. A midi, le nombre de blessés est tel que « l’encombrement des postes de secours est jugé inquiétant » mentionne le JMO du service de santé du 2e CAC, qui précise que « tous les services étant submergés par le nombre de blessés qui affluent, les médecins sont dans l’impossibilité d’assurer les évacuations ». En fin de journée, ce ne sont pas moins de 2026 blessés qui sont enregistrés à 20h au carnet du passage du service de santé du 2e CAC, le JMO de celui-ci indiquant que leur nombre augmente continuellement. A la 15e DIC, l’évacuation des blessés des postes de secours régimentaires vers l’arrière est dramatique, le mauvais temps et le mauvais état des routes interdisant l’usage de la brouette porte-brancards, constat que toutes les divisions ont sans doute malheureusement aussi partagé. Les jours qui suivent le JMO du groupe de brancardiers divisionnaire soulignera également l’impossibilité pour les automobiles chargées d’évacuer les intransportables de se rapprocher du front à cause de l’état des routes et le surmenage des brancardiers, exténués.    
 Tirailleur sénégalais descendant des lignes à Paissy le 19 avril 1917Tirailleur sénégalais descendant des lignes à Paissy le 19 avril 1917


On pourrait penser que vu l’urgence, le commandement aurait pu prendre des mesures d’urgence pour faciliter l’évacuation des très nombreux blessés, y compris durant la nuit du 16 au 17 avril, il n’en est rien ! Le JMO du service de santé du 2e CAC mentionne enfin qu’à 5h du matin « les autos-sanitaires du 2e CAC repartent sur l’HOE, ayant été obligées d’interrompre de minuit à 5h, par suite de la défense de circuler avec les phares allumés ». Cela dit vu l’état des routes est-ce que cela aurait changé quelque chose ? On peut en douter malheureusement. En définitive, l’évacuation ne peut s’améliorer le 17 avril qu’avec l’augmentation du nombre de camions et la formation de convois de blessés capables de marcher, qui se dirigent sur l’HOE 2 de Fismes.    
Dans les jours suivants l’attaque, les services de santé feront systématiquement la distinction entre les blessés dus au combat et les hommes victimes des mauvaises conditions météorologiques. Ainsi, outre des pertes, les compagnies du 64e BTS relèvent avoir eu, par suite de leur séjour dans des tranchées humides, par des nuits glaciales, avant et pendant les opérations, 152 évacuations pour pieds gelés, ce que corrobore son service de santé. Au 70e BTS, on relève du 15 au 16 avril 298 évacuations d’indigènes pour maladie dont 115 pour pieds gelés. Au 71e BTS, le froid intense, les rafales de neige, de grêle et de pluie sont eux-aussi signalés, mais aussi qu’en raison du feu de l’artillerie allemande, les tirailleurs étaient obligés de se terrer dans des trous pleins de boue « où ils disparaissaient presque complètement », ce qui oblige au matin du 17 avril à évacuer en urgence 35 tirailleurs pour gelure de tranchée, puis 140 à nouveau le lendemain matin.

Quelle reconnaissance ? 

Constellation de la Douleur, l'oeuvre de Christian Lapie en hommage aux tirailleurs sénégalais sur le Chemin des Dames (Aisne)
Constellation de la Douleur, l'oeuvre de Christian Lapie en hommage aux tirailleurs sénégalais sur le Chemin des Dames (Aisne) 

Face à l’engagement de deux corps d’armée coloniaux dans une même bataille, soit un engagement en termes d’effectifs sans doute encore jamais vu jusqu’alors, quelle part de récompense ces tirailleurs ont-ils pu obtenir ? Rares sont les JMO disponibles qui mentionnent les propositions de citations, mais là où des proportions habituelles de soldats européens sont relevées, on constate que ce sont surtout les sous-officiers et plus rarement les tirailleurs qui sont récompensés. Ainsi, au sein du 61e BTS, deux sous-officiers sont proposés pour la médaille militaire pour surtout avoir su tirer le meilleur rendement de leurs hommes : « Adjudant Moussa Sangaré : Beaux services antérieurs. Excellent gradé indigène. Au combat du 16 avril 1917, a fait preuve d’une grande bravoure, d’une énergie farouche et a entraîné brillamment ses hommes à la conquête des positions ennemies. A été blessé au cours du combat. » « Sergent Samba Ba : Excellent sous-officier indigène ayant beaucoup d’ascendant sur les tirailleurs. Au combat du 16 avril, s’est acquis de nouveaux titres par sa bravoure, son énergie et sa belle attitude sous le feu, qui ont fait l’admiration de tous ses hommes ». Six tirailleurs sont par ailleurs cités à l’ordre de l’armée, le caporal Assoumané Cissé, le 2e classe Fofoka Karaniogho, le 2e classe Diaméré Sona, le 2e classe Moussa Kamara, le 2e classe Farankoné Kobé et le 1ère classe Amady Dika, avec une mention spéciale pour ce dernier, infirmier de 25 ans tué pendant qu’il pansait un blessé .    
    Au 48e BTS, douze tirailleurs sont proposés pour une citation, s’étant « particulièrement distingués au cours des opérations par leur attitude personnelle et en entrainant leurs hommes sous un bombardement violent », leurs noms sont Demba Taraoré, Ba Diarra, Simbou Diakité, Ibra Koulé, Alyoum N’Diaye, Abdoulaye Faye, Boukary, Gamatié Bingui, Lamidou Mouzi, Bakasso Mayaki, Bouroubéri Ali et Sraka Yao. C’est au sein de ce même bataillon que le 16 avril, trois explosions de grenades avaient eu lieu dans les musettes, tuant un officier, le lieutenant Ravoux, et un homme du 48e BTS, et blessant le lieutenant André Pezilla, l’adjudant-chef Jean Bordenave et des tirailleurs de la 2e compagnie. Si le lieutenant Pezilla et l’adjudant-chef Bordenave sont proposés « pour avoir été blessés à la tête de la fraction en faisant bravement leur devoir », nulle mention des tirailleurs tués et blessés dans les mêmes circonstances… Quant au lieutenant Ravoux il est déclaré tué à l’ennemi, et aucune des 44 fiches d’hommes du 48e BTS morts pour la France le 16 avril 1917 et recensées sur Mémoires des Hommes ne mentionne cette cause de décès.

Conclusion

Il ne fait aucun doute qu’une météo plus clémente aurait eu des conséquences radicalement différentes sur le déroulement de l’offensive, et ce constat est même fait très rapidement, comme semble l’indiquer le rapport du chef de bataillon dans le JMO du 68e BTS : « Il est permis de penser que malgré les pertes exceptionnellement lourdes subies par le bataillon et le 69e bataillon et la disparition de presque tous ses cadres il aurait été possible par beau temps d’atteindre l’Ailette mais la boue a, en réalité, empêché presque totalement le feu des spécialistes et même par instants, le tir des voltigeurs. Beaucoup de positions de mitrailleuses sur notre flanc droit étaient justiciables des VB et ne purent être frappées en temps opportun, les armes étant inutilisables du fait de la boue. Les mitrailleuses ne purent d’ailleurs fonctionner que grâce à la précaution prise par le Lt Autouin de faire rouler toute ses pièces au départ dans les toiles de tente. ». 

On relève également le même constat dans le JMO du 69e BTS où le capitaine Desnuelles déplore l’aberration qu’une attaque ait été lancée une attaque dans ces conditions météorologiques, et la certitude que les objectifs auraient pu être atteint par beau temps : « Etant donné l’effort considérable fourni par les tirailleurs dans ces circonstances et ces conditions, on peut déduire avec quelque certitude que si les conditions climatiques et atmosphériques nous avaient été beaucoup plus favorables une plus grande partie des objectifs que nous devions atteindre auraient été conquis ». 

Au 70e BTS le même constat est aussi formulé avec amertume : « L’offensive du 16 avril sur l’Aisne a montré que, s’il avait fait moins froid, si l’approvisionnement en munitions avait été assuré et si surtout les Sénégalais avaient été soutenus à droite, à gauche et à l’arrière, ils n’auraient pas lâché le terrain conquis. Il suffit de prendre une carte et de voir où se trouve la jonction du boyau de Trèves et de Juliers (7320) pour se rendre compte que les Sénégalais sont allés le plus loin en cette région et qu’ils y sont restés le plus longtemps ». 

Enfin au 52e RIC, auquel fut affecté deux compagnies du 88e BTS pour le 16 avril, le jugement est sévère a propos de la doctrine d’emploi de l’artillerie : « L’emploi des barrages d’artillerie à horaire rigide est destiné à faire faillite 9 fois sur 10, la vitesse de progression des barrages (100 m en 3 minutes) étant trop considérable et ne tenant aucun compte des résistances locales que rencontrera toujours l’infanterie, lorsqu’il s’agit, comme c’était le cas le 16 avril, d’enlever une position profonde, très bien aménagée, défendue par des troupes résolues, et en définitive insuffisamment travaillée par l’artillerie ».

En définitive, la boue, le froid et la neige, l’impossibilité de pouvoir se servir de leurs armes ont rendu l’épreuve du 16 avril 1917 et des jours qui suivirent particulièrement difficile pour les bataillons de tirailleurs africains, déployés au Chemin des Dames dans une offensive conçue par un commandement sans doute trop confiant quant à la supériorité des armes françaises. Nombreux furent ceux qui y laissèrent la vie, victimes dramatiques d’une doctrine militaire qui les plaçaient à une valeur militaire qu’ils avaient certainement au même titre que des milliers d’autres combattants ce jour-là, mais qui rendit leur calvaire plus difficile vu les conditions météorologiques dans laquelle ils furent jetés, et auxquelles ils n’étaient pas préparés.


Vincent DUPONT    
Docteur en Histoire contemporaine    
Chargé d’étude scientifique    
Service du Chemin des Dames et de la Mémoire    
     
Sources :     
SHD GR 16 N 84, Archives du G.Q.G.A., Organisation personnel et unités entre le 15 janvier et le 7 février 1917.    
MICHEL Marc, Les Africains dans la Grande Guerre : l’appel à l’Afrique (1914-1918), Editions Karthala, Paris, 2003, p.97    
GUYON Anthony, Les tirailleurs sénégalais. De l’Indigène au soldat de 1857 à nos jours, Paris, Perrin, Ministère des Armées, 2022.    
SHD GR 26 N 870/11, JMO du 43e bataillon de tirailleurs sénégalais    
SHD GR 26 N 870/16, JMO du 48e bataillon de tirailleurs sénégalais    
SHD GR 26 N 871/5, JMO du 61e bataillon de tirailleurs sénégalais    
SHD GR 26 N 871/11, JMO du 64e bataillon de tirailleurs sénégalais    
SHD GR 26 N 871/16, JMO du 66e bataillon de tirailleurs sénégalais    
SHD GR 26 N 871/18, JMO de la 2e compagnie du 66e bataillon de tirailleurs sénégalais    
SHD GR 26 N 871/19, JMO de la 4e compagnie du 66e bataillon de tirailleurs sénégalais    
SHD GR 26 N 871/21, JMO du 67e bataillon de tirailleurs sénégalais    
SHD GR 26 N 871/23, JMO de la 2e compagnie du 67e bataillon de tirailleurs sénégalais    
SHD GR 26 N 871/25, JMO de la 4e compagnie du 67e bataillon de tirailleurs sénégalais    
SHD GR 26 N 871/26, JMO du 68e bataillon de tirailleurs sénégalais    
SHD GR 26 N 871/28, JMO du 69e bataillon de tirailleurs sénégalais      
SHD GR 26 N 871/30, JMO du 70e bataillon de tirailleurs sénégalais    
SHD GR 26 N 872/2, JMO du 71e bataillon de tirailleurs sénégalais    
SHD GR 26 N 468/2, JMO de la 2e division d’infanterie coloniale    
SHD GR 26 N 471/4, JMO de la 3e division d’infanterie coloniale    
SHD GR 26 N 474/2, JMO de la 10e division d’infanterie coloniale    
SHD GR 26 N 476/3, JMO de la 15e division d’infanterie coloniale    
SHD GR 26 N 237/3, JMO du 1er corps d’armée colonial    
SHD GR 26 N 242/3, JMO du 2ème corps d’armée colonial SHD GR 26 N 867/10, JMO du 53e régiment d’infanterie coloniale    
Anonyme, Historique du 58e régiment d’infanterie coloniale pendant la Grande Guerre, Imprimerie Mouton & Combe, Toulon, 1921    
SHD GR 26 N 248/11, JMO du Service de Santé du 2ème corps d’armée colonial    
SHD GR 26 N 474/20, JMO du Service de Santé de la 10e division d’infanterie coloniale    
SHD GR 26 N 476/21, JMO du Groupe de brancardiers de la 15e division d’infanterie coloniale    
SHD GR 26 N 871/13, JMO du Service de Santé du 64e bataillon de tirailleurs sénégalais    
Joseph Tézenas du Montcel, L'Heure H, étapes d'infanterie 14-18, Paris, Economica, 2007.

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