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Soldats français creusant et dégageant le terrain gagné aux allemands, Chemin des Dames (1917)
Chemin des Dames, on organise le terrain conquis (1917)
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Mémoire
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L'histoire d'un pélerinage

Fonds Amédée DE SWARTE

Le Service du Chemin des Dames et de la Mémoire reçoit fréquemment des dons et il nous a paru intéressant de mettre en avant l’un d’entre eux, le fonds Amédée De Swarte, constitué de documents et de photographies que son petit-fils Guy a accepté de nous confier au début de l’année 2020. Né à Tourcoing (59) en 1894, Amédée De Swarte est mobilisé au 162e RI où il fait ses classes avant de rejoindre le 54e RI en août 1916. Il y servira comme téléphoniste jusqu’à la fin de la guerre, dans la Somme, au Chemin des Dames, notamment dans les secteurs de Soupir et de l’épine de Chevregny en 1917, avant de rejoindre les Vosges puis la Picardie, les Flandres et l’Alsace en 1918. Après-guerre, il devient un important industriel dans le textile jusqu’à son décès en 1971, et restera toute sa vie proche de ses anciens camarades du front.

De « sa guerre » il gardera quelques photographies et cartes postales, et rédigera également ses souvenirs sur quelques pages. Toutefois, un document original a attiré notre attention, il s’agit du récit relatant le périple fait par Amédée De Swarte et sept de ses camarades de régiment jusqu’au Chemin des Dames, le tout illustré de photographies. Le vendredi 18 juin 1937, ce groupe d’anciens combattants part en effet à l’aventure pour une journée qu’ils intitulent « Un jour de repos à l’arrière du front ». Partis de Lille aux aurores, ils prennent la route de Saint-Quentin par Douai et Cambrai et effectuent un premier arrêt à Moÿ-de-l’Aisne. Difficile d’établir ensuite avec précision le parcours suivi par les sept compagnons, si ce n’est qu’ils s’arrêtent à nouveau à Pontavert pour « prendre au bistro du coin de ces tord-boyaux rappelant celui de l’époque », ce qui laisse entrevoir l’état d’esprit de cette délégation nordiste.

Une nouvelle halte à Berry-au-Bac pour faire le plein d’essence leur permet d’effectuer une excursion à la Cote 108, avant un arrêt au monument des chars de la ferme du Choléra. Si les lieux de visite se succèdent, le poids de la guerre se fait toujours sentir dans ce récit, en particulier lorsqu’ils poussent jusqu’au cimetière de la Maison Bleue où repose le frère d’un des participants à l’excursion.

En montant au Chemin des Dames, l’équipée approche de la Caverne du Dragon et c’est là que l’aventure prend un tournant mémoriel inattendu pour ces hommes, que seul le récit original peut transmettre :

Alphonse Hanras (au premier plan) et le groupe devant la buvette de la Caverne du dragon.
Alphonse Hanras (au premier plan) et le groupe devant la buvette de la Caverne du Dragon. Coll. dép. Aisne - Fonds De Swarte

L’arrivée fut plus joyeuse par les souvenirs divers des quelques 20 ans en arrière, ce qui créa l’ambiance nécessaire et permit alors de faire le point. En effet le tôlier, toujours lui, demande au guide [NDLR : Alphonse Hanras] des nouvelles de nombreux camarades, de l’aumônier Py et du capitaine Charton.

Devant cette avalanche de précisions, le guide détailla cette période très dure de 1917 et donna particulièrement toutes explications de cette Caverne ou la légende avait déformé les circonstances réelles du moment, et c’est ainsi que l’on apprit que c’était le soldat Pissonnier [NDLR : Joseph Plissonnier, du 334e RI] – un peu saoul – qui, tombant d’une excavation, entendit du bruit des boches, et ce qui fit que l’aumônier Py (un crucifix devant la poitrine) et une poignée d’hommes firent 307 prisonniers. Le tôlier était intenable et sa joie faisait plaisir à voir.

Aussitôt cette visite et l’hospitalité du guide aidant, les débrouillards du moment prenaient les dispositions de Grand’halte [...]. Le Tôlier, l’Architecte et le Cardinal préparait le Pernod dans les quarts – avec de l’eau fraîche provenant d’un village situé à 2 km paraît-il. Les rasades se succédant rendant à tous la vision de la gnole distribuées aux parallèles de départ un jour d’attaque sérieuse. La gaieté battant son plein et la cuistance à point, la table fut dressée et chacun d’un appétit que le grand air avait ouvert largement ingurgita pêlemêle : saucisses-fayots-sardines-pâté-fromage-fraises des bois et autres. [...]

Le groupe se désaltère à la buvette de la Caverne du dragon.
Le groupe se désaltère à la buvette de la Caverne du dragon. Coll. dép. Aisne - Fonds De Swarte

L’heure nous obligea à quitter ces lieux enchanteurs, non sans avoir fait le tour du propriétaire et permit au Tôlier de voir l’endroit où il fut enterré vivant, – après les adieux touchants et presque des larmes de la femme et la fille du guide qui n’en revenait pas d’avoir vu à ce jour des gars aussi gais après 20 ans de visions aussi terribles. Le guide donna – Bouboule barbotta – le Commissaire enleva de quoi faire un petit Musée.

 

Le groupe sur le Chemin des Dames, devant la Caverne du Dragon, aux cotés d'Alphonse Hanras et son épouse
Le groupe sur le Chemin des Dames, devant la Caverne du Dragon, aux cotés d'Alphonse Hanras et son épouse. Coll. dép. Aisne - Fonds De Swarte

L’aventure d’Amédée de Swarte et de ses sept compagnons sur le terrain de leurs souvenirs de la Grande Guerre s’achève ici. Ils reprennent ensuite la route du Chemin des Dames jusqu’à Chavignon puis Laon, avant de rejoindre le Nord qu’ils avaient quitté dans la matinée par Chauny, Ham, Péronne et Douai.

Le récit « Un jour de repos à l’arrière du front » dans son intégralité
Le récit « Un jour de repos à l’arrière du front » dans son intégralité. [Feuillet 1] [Feuillet 2] [Feuillet 3]

Nombreux furent les anciens combattants ayant survécu à la Première Guerre mondiale qui accomplirent ce type de périple mémoriel, pour honorer ceux qui ne sont jamais revenus, pour oublier leur quotidien, pour retrouver cette camaraderie du front qui les avaient tant aidés à tenir. Ce récit exceptionnel, bien que singulier, est en cela un exemple particulièrement parlant de pèlerinage mémoriel dont le Chemin des Dames fut le théâtre pendant de nombreuses années.

 

Vincent DUPONT
Docteur en histoire contemporaine
Chargé d’étude scientifique

Mémorial virtuel