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Soldats français creusant et dégageant le terrain gagné aux allemands, Chemin des Dames (1917)
Chemin des Dames, on organise le terrain conquis (1917)
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Histoire
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Origine de l’étymologie du nom de la Caverne du Dragon

Comme beaucoup de lieux où la guerre a laissé son empreinte au fil des siècles, la Première Guerre mondiale a laissé derrière elle un paysage de mémoire, faisant parfois évoluer la toponymie, et c’est le cas de la Caverne du Dragon. Cette ancienne carrière de calcaire, sans doute exploitée depuis l’époque moderne, est mentionnée pour la première fois sur un plan du Chemin daté du XVIIIe siècle comme étant « La Creute ». Quoi de plus étonnant puisque ce terme désigne une carrière en patois local.

C’est donc le nom de « La Creute » qui figure sur les cartes françaises en 1914, ou parfois « Ferme de la Creute », du nom des bâtiments agricoles qui sont installés au niveau des entrées de la carrière, cette dernière servant de bergerie et de grange. Le 14 septembre 1914, les troupes françaises s’y installent, mais en sont chassées par les Allemands le 25 janvier 1915.
 

Coupe du terrain au niveau de la Creute, 1914 ©SHD, JMO du 2e Génie, 18e bataillon, 2e cie
Coupe du terrain au niveau de la Creute, 1914 ©SHD, JMO du 2e Génie, 18e bataillon, 2e cie.

 

Dès lors ces derniers vont œuvrer à l’amélioration de leur système défensif et aménagent l’ancienne carrière renommée « Creute-höhle » pour y constituer des réserves en hommes, matériels, vivres et munitions. Cet abri providentiel est peu à peu relié aux tranchées par des galeries débouchant dans des blockhaus en béton d’où les hommes, les câbles téléphoniques et les conduits d’aération peuvent sortir, le tout constituant ainsi en toute discrétion une défense en profondeur et sur deux niveaux.

 

Ce secteur étroit du plateau a toutefois un avantage, car il permet également aux Allemands de creuser une galerie pour relier la « Creute-höhle » à une petite creute située sur le versant nord, connectant ainsi leurs trois lignes de défenses de manière plus sûre. Les Allemands baptisent cette petite creute « Drachen-höhle » car, selon les témoignages allemands, la fumée des cuisines qui s’en échappait rappelait l’antre du dragon Fáfnir, terrassé par le héros Siegfried dans l’épopée des Nibelungen, et c’est ainsi que ce nom apparait sur les cartes.
 

Plan de la Creute, 1914 ©SHD, JMO du 2e Génie, 18e bataillon, 2e cie
Plan de la Creute, 1914 ©SHD, JMO du 2e Génie, 18e bataillon, 2e cie

 

 

Pour les Français, la Creute forme la 1ère ligne allemande, 25 mars 1917 © SHD.
Pour les Français, la Creute forme la 1ère ligne allemande, 25 mars 1917 © SHD.

Le 16 avril 1917, quand l’armée française passe à l’offensive, la carrière porte ainsi deux noms : « La Creute » pour les Français et « Creute-Höhle » pour les Allemands. Toutefois les Français réussissent au prix de nombreuses pertes à prendre pied sur le plateau. Il semblerait alors qu’au début du mois de juin, alors que les Français s’apprêtent à réaliser une nouvelle attaque, le nom de « Creute-Höhle » ait disparu des cartes allemandes, ces derniers nommant désormais tout leur système défensif souterrain sous le nom de « Drachen-Höhle ».

 

Creute-Höhle et Drachen-Höhle le 15 mai 1917 ©Archives allemandes
Creute-Höhle et Drachen-Höhle le 15 mai 1917 ©Archives allemandes.

 

 

Plan de la Drachenhöhle, juin 1917 ©Archives allemandes
Plan de la Drachenhöhle, juin 1917 ©Archives allemandes

 

Le 25 juin 1917, après une opération minutieusement préparée (voir la story-maps de la bataille), les troupes françaises réussissent à prendre la Creute. Une victoire assez inespérée à une époque où le moral est encore marqué par les refus collectifs d’obéissance, et c’est pourquoi cette victoire, si locale soit-elle, va être mise en lumière comme une grande victoire auprès de la presse, et le nom de « Creute » abandonné par les Français au profit du nom plus « vendeur » de « Grotte du Dragon ».

 

Toutefois le communiqué officiel devait être sans doute mal rédigé puisque, aléa de l’histoire, c’est tout d’abord la prise de la « Crosse du Dragon » qui est annoncée par la presse du matin le 28 juin avant que l’erreur ne soit corrigée par la presse du soir qui fait ses gros titres de la prise de la « Grotte du Dragon », du « Repaire du Dragon » ou de la « Caverne du Dragon » (voir le numéro spécial du centenaire ).

 

 

 La Drachenhöhle devient la Grotte du Dragon, juin 1917 ©SHD JMO de la 4e compagnie du 31e Btn du 1er Génie (Cie Z).
 La Drachenhöhle devient la Grotte du Dragon, juin 1917 ©SHD JMO de la 4e compagnie du 31e Btn du 1er Génie (Cie Z).

 

 

La Drachenhöhle devient la Bosphorushöhle, 22 septembre 1917 ©Archives allemandes
La Drachenhöhle devient la Bosphorushöhle, 22 septembre 1917 ©Archives allemandes

 

Sur les cartes françaises le nom de « Grotte » ou « Caverne du Dragon » persistera, mais on ne peut pas en dire autant des cartes allemandes. En effet, soucieux de toujours tromper les renseignements de leur adversaire, les Allemands vont, sans doute aux alentours de septembre 1917, changer les noms de toutes les grottes qu’ils avaient aménagées dans le secteur. C’est ainsi que la « Drachen-Höhle » changera une dernière fois de nom et deviendra la « Bosporus-Höhle » pour quelques semaines seulement. En effet, dans la nuit du 1er au 2 novembre 1917, toute la 7e armée allemande se replie sur l’Ailette, laissant tout le Chemin des Dames aux mains des Français et avec lui, la « Caverne du Dragon » qui conservera désormais ce nom jusqu’à nos jours.

 

Vincent Dupont

Mémorial virtuel