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Bande de bleuets au bord de la route du Chemin des Dames (Aisne)
[Chemin des Dames] Bleuets au bord de la RD 18 - CD, juil. 2007
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Compte rendu de la journée d’étude « 14-18 sur le web : archives en ligne et généalogie »

Le 21 octobre 2022 à la Caverne du Dragon

La journée d’étude organisée par le Conseil départemental de l’Aisne avait pour objectif une discussion approfondie entre tous les acteurs concernés par la mise en ligne de sources sur la Grande Guerre : historiens, chercheurs, archivistes, généalogistes (particuliers ou associations) et plus globalement le grand public. Ce but a largement été atteint avec de nombreux échanges, parfois sans concession, entre ces différentes parties, dont il ressort un certain nombre d’éléments importants à retenir.

La recherche historique et les archives en ligne de la Grande Guerre

La numérisation des archives a permis une révolution de la science historique, comme en témoigne désormais les études d’Histoire publique ou encore d’Histoire numérique ou Digital Studies. Cette numérisation change le rapport direct à l’archive. Le professeur François Cochet a souligné ce constat en précisant que ce n’est plus le chercheur qui va à l’archive mais bien désormais l’archive qui vient au chercheur. Selon lui, l’historien de la Grande Guerre est désormais face à un « tsunami documentaire » auquel il convient de s’adapter. Le « Petit guide pour retrouver son ancêtre poilu » écrit par les deux premiers intervenants, les historiens François Cochet et Erwan Le Gall, propose un guide des sources, en grande partie numériques, mais également une analyse des développements récents liés à ce retour en mémoire de la Grande Guerre à travers l’archéologie, les traces, les commémorations et la muséographie.

A l’université aussi cette révolution numérique entraine un bouleversement du rapport de l’histoire aux archives, à travers la place désormais majoritaire de l’archive en ligne dans les recherches menées par les étudiants. Erwan Le Gall a pu ainsi montrer à travers sa thèse sur le 47e RI réalisée principalement à partir d’un travail prosopographique mené avant l’ère de la numérisation des fiches matricules, que ces sources sérielles permettaient d’écrire une histoire sociale renouvelée de la Grande Guerre (voir sa contribution publiée en ligne : https://arbrezel.hypotheses.org/7849). L’historien a rappelé que ces sources sont issues de l’appareil administratif militaire, et qu’elles doivent être explicitées et comprises en tant que telles, surtout auprès du grand public qui ne maitrise pas toujours le contexte et les éléments qui y sont recensés.

Il a été rappelé également par Frédéric Nowicki, chargé de mission à la DRAC des Hauts-de-France, les multiples initiatives à la faveur du centenaire (2014-2018) par l’Etat et la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale, notamment avec la Grande Collecte, dont seulement une partie des sources numérisées à cette occasion figure sur le portail www.europeana1914-1918.eu

 

Le maintien d’une forte demande familiale et sociale autour des mémoires individuelles de la Première Guerre mondiale

La première table ronde a permis de souligner que la demande sociale pour l’histoire de la Grande Guerre demeure très forte. En cela, l’après-centenaire a correspondu aux périodes de confinement liées à la crise sanitaire de la COVID-19, qui a permis la poursuite de cet engouement pour la recherche en ligne. L’histoire-bataille a laissé la place à une histoire sensible, individuelle et tournée davantage vers l’expérience combattante. Dans ce contexte, il a été souligné que la facilité d’accès aux archives en ligne permet aussi de créer un lien intergénérationnel à travers l’archive numérique au sein d’une même famille.  

Certes l’objet même de la journée a fait se réunir des historiens, archivistes et praticiens de la mémoire sur la question, et les échanges ne sauraient refléter un état d’esprit plus général de la population, mais le constat est globalement partagé qu’en dépit de la fin des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale (2014-2018) les sources sur ce conflit font toujours l’objet d’un intérêt marqué du public, comme en témoigne la consultation des sites internet dédiés, avec notamment : Mémoire des Hommes, les sites des différentes Archives départementales ou encore Mémorial GenWeb.

Il est donc nécessaire d’accompagner cette demande sociale. Elle est en cohérence directe avec la politique mémorielle du Département de l’Aisne, qui depuis une quinzaine d’années a mis en place un Mémorial Virtuel du Chemin des Dames et de nombreuses actions tournées vers la mémoire familiale de ce conflit dont cette journée d’étude est en soi un exemple. La présentation du Mémorial Virtuel du Chemin des Dames (www.chemindesdames.fr) a permis d’observer dans le détail un exemple de base de données en ligne gérée par une collectivité et des contributeurs externes permettant de croiser les sources et faire des liens vers d’autres bases de données archivistiques. Le mémorial recense ainsi plus de 135 000 morts, toutes nations confondues, au Chemin des Dames entre 1914 et 1918.

Un phénomène à mettre en exergue : celui de l’indexation collaborative des fiches des morts pour la France qui renvoie à la pratique d’une certaine forme d’hommage numérique. En ce sens, le projet « 1 Jour 1 poilu » porté par une communauté d’internautes sous la direction de Jean-Michel Gilot a permis le développement d’une forme de projet collaboratif durant le centenaire, d’une ampleur totalement inédite :  www.1jour1poilu.com. Ce défi qui visait la transcription  intégrale sur Mémoire des Hommes des 1 325 290 fiches des Poilus « Morts pour la France » le 11 novembre 2018, a largement contribuer au succès du centenaire sur le web. Il a été souligné, à cet égard, la difficulté des pouvoirs publics, et plus spécifiquement encore des services du Ministère des anciens combattants et victimes de guerre, à l’endroit du projet. Ceci attestant d’une nouvelle forme de pratique commémorative collaborative qui s’appuie sur les réseaux sociaux et qui échappe aux cadres institutionnels. Le travail est donc à poursuivre à l’échelle nationale en s’inscrivant dans une démarche plus collaborative en lien avec l’utilisation des relais que sont les réseaux sociaux.

 

Un accès plébiscité aux ressources existantes

Depuis sa mise en ligne, ce plébiscite s’exprime avant tout à travers le succès du portail « Mémoire des Hommes » du Ministère des Armées. Présenté par son webmaster Christophe Dupont, ce portail créé en 2008 regroupe aujourd’hui de très nombreuses sources principalement conservées par le Service Historique de la Défense (SHD). La mise en place de l’indexation collaborative des fiches de Morts pour la France a connu un large succès durant le centenaire avec près de 50 000 annotations par mois en 2018, pour un total de 2660 contributeurs depuis le début de ce processus. L’intégration des fiches matricules de certains bureaux de recrutement d’anciennes colonies françaises a également été suivi de nombreuses consultations bien qu’il manque les tables nominatives.

La présentation de la base des monuments aux morts crée et développée par le laboratoire Irhis de l’Université de Lille a démontré le succès d’un projet universitaire créé à l’origine pour le centenaire de la Grande Guerre et qui continue de se développer. La base s’est considérablement élargie vers les pays limitrophes de la France et prenant en compte désormais les monuments de la guerre de 1870. Avec plus de 49700 monuments recensés et près de 6000 contributeurs, la base de données propose plusieurs champs de recherche, des photographies et des plans, mais pas d’indexation des noms présents sur les monuments, ce qui pourrait être intéressant pour lier la base à d’autres sites collaboratifs.

La mise en ligne des fiches matricules militaires et leur indexation par les différents services d’Archives départementales a permis une révolution dans l’accès aux sources. Celle-ci doit désormais être complétée ou prolongée vers d’autres typologies documentaires. Il a été rappelé qu’indexer n’est pas seulement un acte technique c’est aussi rendre hommage, dans une démarche citoyenne qu’il ne faut pas sous-estimer, dans une sorte de « devoir de mémoire » numérique à portée de clic.

 

Un enjeu : relier les bases pour mieux assister le grand public dans ses recherches

Les bases existantes sont multiples, peut-être trop pour des chercheurs non avertis avec des risques de découragement. Sont à développer, notamment, les interconnexions entre les bases permettant de les interroger entre elles de manière à offrir aux internautes plusieurs clés d’entrée ; des outils de médiation et d’orientation des chercheurs en ligne de manière à faciliter la compréhension de ces bases.

Le Service Interministériel des Archives de France (SIAF) qui a développé la base du Grand mémorial permettant une consultation des différentes sources en ligne (fiches de mort pour la France et registres matricules conservés par les Archives de chaque département) a présenté le nouveau portail FranceArchives . Celui-ci se présente comme un « agrégateur national des archives françaises ». Il a été mis en ligne en mars 2017 et refondu en 2022. Il offre un accès simplifié aux archives référencées et dispersées sur tout le territoire dans différents dépôts d’archives, entre services nationaux et territoriaux, publics ou privés et de statuts juridiques variés. Les résultats des recherches nominatives liées au parcours de soldats de la Grande Guerre sont ainsi plus performants. Le portail continue d’agréger des bases de données de nombreuses archives y compris de musées de la Grande Guerre. Les technologies développées pour ce portail offrent de nombreuses possibilités d’interrogation nominative.

Il semble nécessaire que les collectivités et les musées notamment, comme la Caverne du Dragon, continuent de cultiver des liens avec les Archives départementales, le milieu associatif et universitaire, à l’origine de plusieurs bases, afin d’offrir des outils de recherche généalogique ciblés autour d’un territoire de mémoire, afin de renforcer son attractivité touristique. La généalogie étant devenue l’un des vecteurs de visite de sites de la Première Guerre mondiale.

La dernière intervention de la journée par le Service SIG (Système d'Information Géographique) du Département de l’Aisne a démontré les multiples possibilités offertes par la cartographie en ligne pour les sources de la Grande Guerre, avec par exemple la géolocalisation de traces ou la superposition de cartes d’état-major sur des cartes ou photographies aériennes actuelles. Mais, bien plus encore, le SIG ouvre d’importantes possibilités de développement pour géolocaliser des personnes identifiées ou indexées dans les bases de données. Ainsi, il est possible de réaliser une cartographie des morts d’un régiment, mais aussi des lieux de provenance d’une unité, à travers divers programmes ou applications. Ces développements peuvent être intégrés autant dans des démarches scientifiques, muséographiques ou encore celles liées au tourisme de mémoire.

 

Des pratiques généalogiques à la croisée des chemins

Les deux associations de généalogie invitées (www.genealogie-aisne.com et https://cg-aisne.org/web ) ont pu rappeler les multiples recherches menées par leurs membres ou certaines communes à partir des archives militaires en ligne, avec par exemple la mise en ligne des fiches matricules de morts d’une commune à partir des noms inscrits sur son monument aux morts, ou encore des liens fait avec d’autres généalogistes partout en France autour d’informations liés à la Grande Guerre dans l’Aisne. Les associations généalogiques souffrent cependant en France d’un manque de renouvellement de leurs pratiques liées à la révolution numérique, qui met en exergue le fossé parfois entre les recherches généalogiques « traditionnelles » et les possibilités offertes par les bases de données en ligne.  Un travail est donc à faire pour soutenir – et par là orienter – l’action des généalogistes, en particulier par les services d’Archives départementales.

Les généalogistes on put aussi souligner le manque d’archives en ligne ou de bases de données constituées sur les civils dans la Grande Guerre et en particulier ceux de la zone occupée par l’armée allemande dans le nord et l’est de la France.

 

Un besoin d’implication des particuliers : des formes participatives à perfectionner

Une large partie du public n’est pas membre d’associations, rebutée par le formalisme et le besoin d’engagement du milieu associatif. Ce public paraît sous certains aspects plus novateur et dynamique : plus libre, il est réactif, s’agrège en communautés informelles liées par les réseaux sociaux et le format numérique.

Ce public a lui aussi besoin d’être accompagné et impliqué dans les projets menés par les institutions patrimoniales (indexation collaborative). Des actions propres pourraient être menées pour lui laisser la parole (certains sites d’archives ont mis en place des blogs permettant de faire le lien avec ce public par exemple) – solliciter la communauté d’internautes est indispensable pour faire vivre les projets de numérisation et d’indexation, dont l’expérience du défi « 1 jour 1 poilu » demeure un exemple pertinent de modèle collaboratif, entre un porteur de projet, une communauté virtuelle et des sources en ligne.

 

Des discussions nécessaires entre chercheurs, historiens et archivistes

Les Archives départementales d’Indre-et-Loire  ont montré leur important travail de numérisation de ces cartes d’Anciens combattants, relevant les particularités de cette source sérielle, qui fait souvent apparaitre le visage d’un combattant à travers une photographie d’identité.

L’expression des besoins de chacun des intervenants nécessite des échanges réguliers : la question des éliminations d’archives demeure souvent un élément de crispation (même si tout le monde reconnaît son caractère indispensable), qu’il convient de mieux expliciter et de contextualiser, y compris en y associant le milieu universitaire. Il a été ainsi rappeler que les dossiers accompagnant les fiches d’anciens combattants, par exemple, sont des sources d’informations supplémentaires pour les historiens, car ils contiennent des lettres de combattants justifiant leur expérience combattante.

La nécessité de renforcer les liens entre les producteurs de bases de données et les utilisateurs a été largement partagée. Ainsi la nature des documents, le contexte de leur production, leur usage à l’époque, doivent être pris en compte pour une lecture, un décryptage et une utilisation mémorielle quelconque.

 

Conclusion

En conclusion, Hervé Chabaud a souligné l’intérêt croissant et la demande sociale d’Histoire à travers les pratiques numériques et les réseaux sociaux. Si la société s’empare des sources en lignes pour des usages mémoriels, les historiens n’ont toujours pas pris en compte toutes ces sources nouvelles dans leur champs d’étude et il n’y a pas encore d’étude sur les résultats de l’indexation en ligne. L’État quant à lui apporte, parfois à contre-temps, de nombreux projets en réponse à cette demande sociale. Ce patrimoine numérique demeure cependant précaire, car il nécessite de multiples sauvegardes et des serveurs capables de l’accueillir et de le conserver dans la durée.

Plus globalement, la qualité des échanges de cette journée interroge sur le manque de plateformes et évènements dans lesquels ces discussions pourraient avoir lieu plus régulièrement, sur des thématiques particulières. Car il est rappelé que les hommages numériques vont continuer de se développer à mesure que les Archives vont être mis en ligne. Ainsi, il faut s’attendre à ce que les commémorations du 80ème anniversaire et même jusqu’au centième anniversaire de la Seconde Guerre mondiale seront l’objet d’importants développements numériques à partir d’archives en ligne et de recherches généalogiques. Enfin, une large part de ces projets numériques liés aux archives et à la mémoire des conflits contemporains mériteraient d’être soutenus et utilisés par le monde de l’éducation, par leurs vertus pédagogiques et leur implication citoyenne.

 

Franck Viltart
Chef du service de la Mémoire et du Chemin des Dames
Raphaël Baumard
Directeur des Archives départementales de l’Aisne

 

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