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Soldats français creusant et dégageant le terrain gagné aux allemands, Chemin des Dames (1917)
Chemin des Dames, on organise le terrain conquis (1917)
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L’attaque du plateau de Vauclerc le 16 avril 1917

Offensive Nivelle

Depuis l’automne 1914, les troupes allemandes et françaises se font face sur le plateau de Vauclerc. Janvier 1915 y voit des combats violents mais ce secteur du Chemin des Dames devient une zone relativement calme jusqu’ à l’offensive de 1917. Long d’environ 4 kilomètres et large d’environ 400 mètres, ce plateau qui relie la ferme d’Hurtebise au bord est du village de Craonnelle est l’un des rares endroits où la proximité des lignes allemandes est d’environ 50 à 100 mètres et permet d’envisager une avance qui pourrait briser rapidement le front allemand, pour obtenir une vue plongeante sur la vallée de l’Ailette.

L’attaque des positions allemandes du plateau de Vauclerc est confiée par l’état-major français à la 162e division d’infanterie. Celle-ci est composée de trois régiments : le 43e (caserné à Lille en 1914), le 127e et le 327e RI (tous deux casernés à Valenciennes en 1914), avec en support le 72e Régiment d’infanterie territoriale (caserné à Cholet en 1914). En seconde vague d’assaut, les régiments de la 51e division d’infanterie avec le 33e RI (caserné à Arras en 1914), les 273e RI et 73e RI (tous deux casernés à Béthune en 1914) doivent notamment organiser le terrain conquis et poursuivre l’offensive dans la vallée de l’Ailette.

Tous ces régiments ont débuté la guerre dès 1914 et ont participé notamment aux batailles de Champagne en 1915, Verdun et la Somme en 1916 et ont comme particularité d’avoir tenu des secteurs du Chemin des Dames, à Berry au Bac ou à Paissy, à la fin de l’année 1914 et en 1916. La 162e division a été créée à l’automne 1916 avec ces régiments expérimentés dont les lourdes pertes subies à Verdun et dans la Somme ont été comblées par des renforts de la classe 1917 ou des soldats sortant de convalescence. De ce fait, l’identité régionaliste nordiste originale a de ce fait elle aussi été modifiée avec la venue de soldats venant par exemple de la région d’Angoulême, de Rodez, Bourges ou Cahors.

La préparation de l’attaque

Le 9 avril 1917 à 7h30 du matin commence la préparation d’artillerie française en vue de détruire ou d’affaiblir l’organisation défensive allemande. La réaction de l’artillerie allemande est notée comme moyenne par les observateurs français. Ce même jour, tous les régiments d’infanterie sont déjà en ligne. Toutefois le mauvais temps gêne la préparation d’artillerie et va continuer de rendre difficile la destruction, mais aussi la reconnaissance et l’observation aérienne des positions allemandes. Du 9 avril au 15 avril 1917, l’artillerie française déverse néanmoins sur les positions allemandes près de 61 330 obus moyens, lourds ou bombes de tranchées, mais cela n’empêche pas l’artillerie allemande de rester toujours active.

Au sol, plusieurs patrouilles françaises vont être aussi effectuées pour étudier les effets des tirs de l’artillerie, et aussi sonder la capacité de résistance allemande. Par exemple, à 9 heures du matin le 11 avril 1917, l’artillerie française déclenche un bombardement destiné à faire croire à une attaque et à découvrir des positions d’artillerie ou de mitrailleuse allemandes, mais ce leurre ne déclenche aucune réaction probante parmi les défenseurs allemands.

Ce même jour vers 19 heures, deux sections de la 18e Compagnie du 327ème RI effectuent une reconnaissance offensive lorsqu’un tir de barrage allemand inattendu contrarie la progression des soldats français. Les sous- lieutenants Jahan et Duterte intiment alors l’ordre à leurs sections de poursuivre leur marche en avant. Si les soldats de la patrouille de Jahan parviennent à revenir dans les lignes françaises sans trop de difficultés, la section de Duterte est contre-attaquée par les Allemands après avoir pénétré leurs lignes. Un combat rapproché s’engage, notamment à coup de grenades.  Les Français se défendent, mais le sous-lieutenant Georges Duterte est grièvement blessé à la tête et aux jambes en tirant sur les Allemands. Seuls quelques hommes de la section Duterte parviennent à se replier dans les tranchées françaises . Bien que périlleuse, cette reconnaissance a quand même permis de mieux comprendre l’organisation des tranchées adverses et de constater aussi que l’artillerie allemande est loin d’être neutralisée. 

Une tentative de reconnaissance est aussi menée dans la nuit du 13 au 14 avril 1917 par des soldats du 43e RI. Leur patrouille parvient elle-aussi à entrer dans le dispositif allemand mais se trouve elle-aussi bloquée par des tirs dans sa progression et finit par se replier en ramenant une carte postale adressée à un soldat allemand de la Garde. D’autres reconnaissances permettent aussi de constater que la première ligne allemande et ces barbelés ont subi des destructions notoires. En revanche la seconde ligne de défense allemande ne parait pas affaiblie. A la veille de l’offensive, l’état-major de la 162e Division reste pourtant optimiste et confiant dans la capacité à l’artillerie d’ouvrir la voie aux fantassins. 

« Ceux d’en Face »

Les défenseurs allemands du plateau de Vauclerc appartiennent à la 5ème Division de la Garde. Organisée en février 1917, cette division se compose notamment du 207ème Régiment d’Infanterie du Brandebourg, du 3ème Grenadiers à pied et du 3ème Régiment de la Garde à pied. Ces unités sont originaires du Royaume de Prusse et tiennent le secteur depuis le 20 mars 1917. Leurs positions se composent de trois lignes de tranchées dont deux sur la contre-pente nord, invisibles aux yeux des fantassins français. Ces deux lignes sont renforcées de casemates bétonnées abritant des pièces d’artillerie, des mortiers de tranchées ou des mitrailleuses.

Sur cette carte d'août 1917, on distingue les tunnels si importants pour la défense allemande le 16 avril 1917
Sur cette carte d'août 1917, on distingue les tunnels si importants pour la défense allemande le 16 avril 1917 ©Generallandesarchiv Karlsruhe 456 F 1 260

Si, sur la contre-pente nord de nombreux abris et creutes existent aussi, les soldats allemands ont en plus créés des galeries souterraines baptisés Wald Tunnel et Kaiser Tunnel avec dans son prolongement une autre galerie appelée AltSoldat (Vieux Soldat) Tunnel. Le Kaiser Tunnel, en particulier, forme une galerie unique avec deux sorties au-dessus du village de Craonnelle et une autre dans la tranchée du Moulin de Vauclerc. Dans ces tunnels cantonnent des troupes prêtes à contre-attaquer. La vie quotidienne y est angoissante à cause des risques d’effondrement, et chaque soldat allemand doit gérer l’ennui de l’attente, et souhaite aussi à chaque minute recevoir l’ordre de sortir, même si le danger à l’extérieur est grand.
 

A la mi-mai 1917, le docteur Chagnaud , médecin attaché au 152e régiment d’infanterie, visite le Kaiser Tunnel et en rapporte la description suivante : « C’est un long couloir creusé par l’ennemi et étayé solidement, avec une voie pour wagonnets et des escaliers tellement arides et étroits qu’il est impossible d’y descendre de grands blessés sur brancards. On y patauge dans une boue liquide et pestilentielle mélangée d’excréments et d’urine ».

Enfin, toute la défense allemande bénéficie aussi du support de pièces d’artillerie lourdes installées sur les hauteurs au nord de l’Ailette et d’un appui aérien d’observation permettant, en cas d’attaque française, des tirs à longue distance sur le plateau. 

L’attaque du plateau

Le dispositif d’attaque est le suivant : le 127e RI attaquera le flanc gauche en liaison avec un régiment de la 10e division d’infanterie coloniale, le 327e RI sera au centre et le 43e RI attaquera sur le flanc droit en liaison avec le 201e régiment d’infanterie attaché à la 1ère division d’infanterie. Les régiments de la 51e division d’infanterie, en seconde ligne, se tiendront prêts à intervenir pour les renforcer. Comme sur l’ensemble du front, l’avance devra s’effectuer à un rythme de 100 mètres toutes les 3 minutes.

Sous la pluie et les averses de neige, les hommes effectuent les derniers préparatifs, comme le soldat Paul Clerfeuille  le rapporte, alors en seconde ligne avec ses camarades du 273e RI :

« Nous avons des vivres pour six jours, nous n’avons emporté que le nécessaire. Linge, couvertures, nous en avons fait des petits colis qui sont restés à l’arrière, gardés par des soldats désignés et qui ont leur père ou frère tués aux armées. Les vivres que nous emportons constituent six jours, boites de bœuf, porc, sardines, chocolat, pain, biscuit, pâté, café, sucre, haricots et farine, pomme de terre en fécule etc. Également du pinard, le café, la goutte mêlée d’éther. Moi, je porte mes vivres, un bidon de goutte, un bidon de café que j’ai préféré au vin, quatre grenades citron, un pistolet automatique, trois chargeurs, une poignée de balles, un couteau poignard dans une gaine pendue à la gauche de mon équipement et, enfin, mon fusil Lebel et ses cartouches, les deux masques à gaz sans oublier mon casque. »

Attaque du plateau de Vauclerc, la vague d'assaut de réserve, arrêtée, se repose. Le cordon blanc a été déroulé par la 1ère vague
Attaque du plateau de Vauclerc, la vague d'assaut de réserve, arrêtée, se repose. Le cordon blanc a été déroulé par la 1ère vague ©Europeana 14-18 Fonds Amédé Fleury

A 6 heures du matin, les soldats français de la 162e DI se lancent à l’assaut. Rapidement, la première ligne allemande composée, à gauche, de la tranchée Von Schmettau, et de l’ouvrage triangulaire à droite, sont pris et dépassés. Mais, comme le note le journal de marche de la division : « L’infanterie éprouve assez vite des résistances aux tranchées du saillant, Von Luttwitz et des Friches. Il est aussitôt évident que la vitesse de progression envisagée dans les plans d’engagement et d’ordre d’attaque subirait un retard considérable. On se rend tout de suite compte qu’il faut conquérir pied à pied le plateau de Vauclerc. »

Du côté allemand, des mitrailleurs installés en seconde ligne, sortis des tunnels ou abrités dans des casemates bétonnées, fauchent les attaquants. L’artillerie allemande se dévoile aussi et cause des pertes parmi les assaillants et les troupes de seconde vague. A 7h15, les Français progressent lentement sur la droite mais la gauche de l’attaque est arrêtée par les tirs de mitrailleuses adverses. De chaque côté aussi, l’usage des grenades est un facteur déterminant pour la conquête ou la reconquête d’un bout de tranchée ou d’un trou d’obus. A 10h30, les fantassins allemands lancent une violente contre-attaque. Celle-ci est repoussée par les Français. 

En fin de matinée, le commandement de la 162e DI sait que les hommes du 43e RI ont dépassé le Chemin des Dames et se sont emparés du Kaiser Tunnel où environ 200 prisonniers allemands ont été capturés. De leur côté, les 127e RI et 327e RI sont finalement arrivés sur le bord nord du plateau et tiennent le boyau d’Offenburg, les tranchées Limbourg et de l’Abri. Mais le centre appelé Bois B1 et la tranchée de Fribourg résistent toujours. L’artillerie allemande est toujours active et rend difficile l’évacuation des blessés, l’arrivée de renforts et le réapprovisionnement en munitions, en vivres et matériel.  De plus, des tirs allemands venant de la gauche du plateau gênent aussi considérablement les Français. Des ordres sont alors donnés pour poursuivre la progression. Des renforts sont envoyés, et Paul Clerfeuille témoigne :

« C’est le premier bataillon qui part le premier, puis le nôtre. Hélas, nous sautons sur les parapets et arrivons sur la petite route d’Oulches à Craonnelle où aucune circulation n’a lieu depuis quatre ans, puis nous sautons dans les champs ; nous heurtons des morts de la première vague, ainsi que de notre régiment parti il y a 15 minutes. »

Attaque du 16 avril, corvée de grenade au plateau de Vauclerc. Dans le fond, Craonnelle
Attaque du 16 avril, corvée de grenade au plateau de Vauclerc. Dans le fond, Craonnelle ©Europeana 14-18 Fonds Amédé Fleury

Toutefois des tirs trop courts de l’artillerie française et les tirs des mitrailleuses allemandes empêchent toute progression et obligent même certains éléments du 127e RI à se replier. A la fin de cette première journée de combat, la situation des attaquants français reste confuse et très précaire, et le soldat Clerfeuille raconte encore :

« Nous remplaçons un bataillon qui n’a presque plus personne, mon escouade va remplacer une escouade de grenadiers qui furent tués par un obus allemand. Ils étaient blottis dans l’entrée d’un gourbi allemand. L’obus tomba malheureusement dans le groupe. Pas un seul n’échappa à la mort. Quelques -uns agonisèrent lamentablement, sans que dans cet enfer, il fût possible de les secourir. Quelques-uns, avant de rendre le dernier soupir, eurent la force de se trainer 5 à 6 mètres. Ils sont tous là, pêlemêle, je garde le souvenir de l’un d’eux, mort, tombé sur le dos, le bras gauche en l’air comme s’il faisait voir les cieux ; il a au poignet une montre-bracelet. Quelle vision lugubre !

Bilan de l’attaque

La percée n’a pas eu lieu et la défense allemande a tenue face au choc de l’assaut. Les pertes estimées de la 162e DI s’élèvent à 37 officiers et 1538 hommes. La 51e division d’infanterie quant à elle comptabilise un total de pertes de 28 officiers et 896 hommes tués, blessés ou portés disparus du 15 au 21 avril 1917. Il n’existe pas de rapport précis concernant les pertes allemandes. Pour conclure le récit de cette longue journée, les mots de Paul Clerfeuille sont encore les plus parlants :

« Le temps passe, bientôt le jour pointe. Nous en profitons pour aller à la première section chercher une caisse de grenades. Pour traverser en face de la mitrailleuse, nous marchons à quatre pattes et même nous rampons. Nous arrivons à 80 mètres environ. Quel spectacle ! Des tas de morts du 127e, 73e et 276e. Nous en sommes écœurés, nous avons les larmes aux yeux. Quelques sénégalais morts eux aussi plus à gauche. Le jour arrive, mardi 17 avril, nous sommes gelés et une eau glaciale a succédé à la neige. »

Yves FOHLEN
 
Sources :
SHD GR 26 N 454/2 - JMO de la 162e Division d’Infanterie
SHD GR 26 N 362/3 - JMO de la 51e Division d’Infanterie
SHD GR 26 N 606/2 - JMO du 33e RI
SHD GR 26 N 630/5 - JMO du 43e RI
SHD GR 26 N 686/3 - JMO du 127e RI
SHD GR 26 N 735/5 - JMO du 273e RI
SHD GR 26 N 751/5 - JMO du 327e RI
Histories of Two Hundred and Fifty-one Divisions of the German Army. London Stamp Ech Ltd. 1919
 

 

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