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Soldats français creusant et dégageant le terrain gagné aux allemands, Chemin des Dames (1917)
Chemin des Dames, on organise le terrain conquis (1917)
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L’attaque du 2ème Corps d’Armée Colonial le 16 avril 1917

Pour l’offensive du 16 avril 1917, le 2ème Corps d’Armée Colonial (2e CAC) se voit confié un front d’attaque situé en plein centre du Chemin des Dames. Long d’environ 4,3 kilomètres, il s’étend entre la sucrerie de Troyon au nord du village de Cerny en Laonnois et la Ferme d’Hurtebise. Commandé par le général Marie Ernest Joseph Blondlat, ce Corps d’Armée Colonial a pour mission de briser la première ligne des défenses allemandes puis de traverser l’Ailette, prendre les hauteurs de l’Ailette pour finalement arriver au village de Bruyères-et-Montbérault et atteindre ainsi les portes de la ville de Laon

L’ordre d’offensive général commun à toutes les divisions participant à l’offensive en première ligne, stipule que les attaquants doivent coller au barrage de l’artillerie française selon un rythme d’avance de 100 mètres toutes les 3 minutes. Ce bombardement doit permettre aux attaquants de pénétrer dans le système défensif allemand avant que ceux-ci puissent sortir de leurs abris et tenir leurs tranchées. Pour cela, la 15ème division d’infanterie coloniale (15e DIC) et la 10ème division d’infanterie coloniale (10e DIC) sont le fer de lance de l’offensive. Ces deux unités coloniales ont en support la 38ème division d’infanterie (38e DI) qui a elle déjà combattu de septembre à octobre 1914 au Chemin des Dames dans le secteur d’Hurtebise et de la Ferme de La Creute. La 38e DI doit exploiter le succès dès la percée effectuée. 

Avant l’assaut

Le barrage d’artillerie débute doucement le 9 avril 1917 puis augmente rapidement en intensité. Par exemple, le 10 avril 1917, 16 769 obus de tous calibres sont lancés contre les positions allemandes dans le secteur d’Hurtebise au Poteau d’Ailles. Il va ainsi s’intensifier jusqu’au début de l’offensive. Toutes les nuits, des tirs indirects sont aussi effectués par des mitrailleuses françaises et leurs balles s’abattent comme de la pluie dans la vallée de l’Ailette et les contre-pentes nord du Chemin des Dames.

Le système d'évacuation des blessés dans le secteur de la 15e DIC ©SHD GR 26 N 4761 8 - JMO de la 15e DIC
Le système d'évacuation des blessés dans le secteur de la 15e DIC ©SHD GR 26 N 4761 8 - JMO de la 15e DIC

Arrivées dans le secteur le 10 avril, c’est dans la nuit du 15 au 16 avril 1917, que les divisions du Général Blondlat prennent en main leurs positions d’attaque. En fait, la montée en ligne est très pénible car ralentie par la boue, sous un temps pluvieux et extrêmement froid, malheureusement pour les coloniaux et notamment les tirailleurs des bataillons originaires d’Afrique Noire.
 

Ce mauvais temps, qui dure depuis plusieurs jours, accentue les souffrances des combattants. C’est ainsi, que la 1ère Compagnie du 6e bataillon de tirailleurs sénégalais (BTS) arrive à sa position d’attaque à 5 heures du matin le 16 avril après avoir marché 10 heures !  Avant même le combat, le froid glacial occasionne de nombreux cas de gelures. Mais déjà, le 10 avril 1917, près du village de Vendresse, le lieutenant Joseph Tézenas du Montcel, officier au sein du 5e régiment d’infanterie coloniale (RIC), constate et témoigne de l’impact du climat hivernal sur les soldats africains en observant l’arrivée des troupes africaines dans le secteur :

« Les pauvres, dans la tourmente de neige et le vent glacial qui les fouette, sont transis de froid et paraissent souffrir ; ils marchent comme des bêtes, rêvant sans doute à leur village paisible écrasé sous le soleil ou au grand silence clair de leurs nuits d’Afrique que trouble seul l’aboi des chiens errants ».

D’autre part, l’aménagement des positions d’attaque se révèle très incomplet et toujours sous la pluie et dans le froid, il faut construire rapidement des escaliers pour sortir des tranchées. Beaucoup de Sénégalais sont épuisés par tous ces travaux et les efforts fournis, mais néanmoins, le 16 avril à 6 heures du matin, les soldats du 2ème CAC sortent de leurs tranchées, dans le froid, et sous des averses de neige et de pluie.

L’assaut de la 10e DIC

Cette division est formée et commandée depuis juin 1915 par le général Jean Baptiste Marchand, célèbre à l’époque pour avoir gagné le 25 août 1898 le combat de Fachoda (auj. Kodok au Soudan du Sud) qui entraina la crise franco-britannique du même nom. La 10e DIC est composée pour ce combat de deux groupements :

  • Celui du colonel Quérette, formé du 33e RIC et des 6e, 43e et 48e BTS, accompagnés de 7 équipes de lance-flammes.
  • Celui du colonel Petitdemange, comprenant les 52e et 53e RIC renforcés chacun de deux compagnies du 88e BTS, le 58e RIC, accompagnés de 5 équipes de lance-flammes. 

Le secteur est particulièrement difficile pour la 10e DIC qui doit gravir les pentes de la Vallée Foulon face à des soldats allemands bien retranchés, appartenant à la 19ème Division d’Infanterie de Réserve (Celle-ci est composée des 73e RIR, 78e RIR et 92e RIR et originaires du Hanovre, du Grand-Duché de Oldenburg et du Brunswick) , qui bénéficient des abris souterrains de la Caverne du Dragon, de la creute de la ferme d’Hurtebise, de nombreux abris et observatoires bétonnés en surface avec en prime une liaison efficace avec leurs positions d’artillerie. Les positions des mitrailleuses du Trou d’Enfer, de la Courtine d’Iéna et du Monument sont redoutables avec des champs de tirs préétablis depuis deux ans et une connaissance parfaite du terrain de la Vallée-Foulon.

Les coloniaux du Colonel Quérette ont pour objectif de prendre la ferme d’Hurtebise et la ferme de la Creute. Les hommes du groupement Petitdemange doivent avancer sur le plateau de Paissy. A leur demande, les trois colonels commandant les 33e, 52e et 53e RIC partent à l’assaut en première ligne pour insuffler à leurs hommes un esprit de corps offensif, car pour beaucoup c’est leur première offensive et ils n’ont pas d’expérience du combat de tranchée.
 

Le secteur d'attaque du 2e CAC au 25 mars 1917 ©SHD
Le secteur d'attaque du 2e CAC au 25 mars 1917 ©SHD

Très vite, les mitrailleuses allemandes ouvrent le feu et par des tirs croisés infligent des pertes sensibles aux Coloniaux alors qu’ils gravissent les pentes du secteur. Sont tués ainsi les trois colonels (Lieutenant-colonel Cahen du 33e RIC, lieutenant-colonel Dumas du 53e RIC et le colonel Garnier du 52e RIC). Pourtant les tirailleurs africains parviennent sur la contre-pente nord de l’isthme d’Hurtebise. De leur côté, les coloniaux du 33e RIC s’emparent des ruines de la ferme d’Hurtebise. Mais les tirs de mitrailleuses du mamelon de Vauclerc et de l’artillerie allemande situées dans la vallée de l’Ailette et non détruites par la préparation d’artillerie française stoppent toutes les tentatives de progression offensive. 

Des contre-attaques allemandes surgissent d’abris souterrains ou de la Caverne du Dragon et rendent la situation confuse. De violents combats rapprochés s’engagent. A cela s’ajoutent le fait que des positions de mitrailleuses allemandes en première ligne au Trou d’Enfer et à la Courtine d’Iéna, qui n’ont pas été bien nettoyées, tirent dans la seconde et la troisième vague d’assaut. Les Français comprennent ainsi, trop tard, qu’il existe à la ferme de la Creute un lien souterrain du nord au sud sous l’isthme d’Hurtebise.

Beaucoup d’officiers et de sous- officiers français sont tués ou blessés, laissant les tirailleurs africains sans ordre, perdus et désorientés dans un terrain couvert de trous d’obus et de boue. La panique gagne les tirailleurs africains qui s’enfuient vers l’arrière. 

Dans le secteur du Plateau de Paissy, les tirailleurs africains du groupement Petitdemange se lancent à l’assaut également. Le 68e BTS est le premier à sortir, suivi du 69e BTS, et ils parviennent à s’infiltrer par petits groupes vers les ruines du village de Ailles et dans la vallée de l’Ailette. Toutefois, comme à Hurtebise, les deuxièmes et troisièmes vagues sont victimes des défenseurs allemands. Là aussi, suite à de lourdes pertes en officiers (le colonel Petitdemange est lui-même blessé à 8h20) et sous-officiers, et aux violentes contre-attaques et tirs allemands dans le dos, les coloniaux se replient et certains groupes se cramponnent sur la pente nord du plateau. La présence dans ce secteur du tunnel des Saxons et de la Creute de Maywald donne aux Allemands un avantage certain pour lancer des contre-attaques et surprendre les attaquants qui résistent avec peine. En fin de journée la situation est critique, car beaucoup de fusils sont inutilisables à cause de la boue, et les grenades manquent. De plus, nombreux sont les obus de 75 mm français qui tombent trop courts parmi les survivants des premières vagues d’assaut, créant là aussi des mouvements de panique et de repli. 
 

L’attaque de la 15e DIC

De son côté, la 15e DIC est commandée par le général Etienne François Maurice Guérin. Elle est composée des 2e, 5e et 6e RIC. Trois bataillons sénégalais lui sont aussi attachés : les 66e,67e et 70e BTS.  Leur secteur s’étend du village de Cerny-en-Laonnois à celui d’Ailles, et est aussi le plus dense en ce qui concerne les tunnels creusés par les soldats allemands. En effet, deux tunnels ont été creusés dans Cerny et cinq autres dans les pentes du ravin des Bovelles près de Ailles. Toute cette organisation souterraine est pour ainsi dire peu connue de l’état-major français. Comme ailleurs, il donne cependant aux troupes allemandes un avantage sérieux pour abriter des réserves en hommes, en matériels et en munitions.

Objectifs atteints par le 6e RIC le soir du 16 avril © SHD GR 26 N 864 7 - JMO du 6e RIC
Objectifs atteints par le 6e RIC le soir du 16 avril © SHD GR 26 N 864 7 - JMO du 6e RIC

Les troupes sont en place à 3 heures du matin. Dès le début de la matinée, l’artillerie allemande se dévoile et riposte aux tirs français. A 6 heures du matin, comme pour le secteur de la 10e DIC, les coloniaux du 6e RIC, malgré les tirs allemands qui occasionnent de pertes lourdes, franchissent rapidement le Chemin des Dames et la première ligne de tranchée allemande. Collant au barrage d’artillerie ils réussissent à s’emparer des cinq premières lignes adverses, supprimant au passage plusieurs points de résistance pourvus de mitrailleuses aux tirs meurtriers. Mais aucun d’eux n’arrivent à aborder les ruines du village de Cerny-en-Laonnois.

Les coloniaux du 5e RIC ont de leur côté quitté leurs tranchées du ravin de Troyon au nord du village de Vendresse à 6h10, en seconde vague d’assaut, et subissent eux-aussi les tirs allemands dès la pente raide franchie pour arriver sur le Chemin des Dames, puis sur la hauteur et la contre pente nord. Le lieutenant Tézenas du Montcel témoigne alors :

« Un court crépitement de mitrailleuses m’inquiète soudain. Devant nous, des hommes courent.  Dispersés, et il y a dans le bruit et la fumée quelque chose d’anormal. J’ai l’impression que nous sommes près de l’ennemi, et, à nouveau je porte mon sifflet à mes lèvres. Une série de petits coups de sifflet rapides et ma section se déploie en tirailleurs sans cesser de marcher. Je suis ainsi plus tranquille : s’il y a une surprise nous serons en formation de combat... Sous la menace que nous sentons peser, notre marche s’accélère. Nous abordons la première tranchée boche. Tout y est bouleversé à un point incroyable et le réseau n’est plus qu’un souvenir... Nous nous arrêtons une seconde, le temps de souffler et de reprendre un peu d’alignement... Nous repartons. Palmier me crie à ce moment :
-    Balancez votre canne !
 Hé oui ! Je sais bien ! il a raison ... Je la plante d’un coup sur le parados de la tranchée pour en marquer la prise de possession définitive. Comme nous avançons toujours, les premiers cadavres nous apparaissent, dispersés çà et là, de nos camarades qui, il y a quelques minutes, sont partis devant nous, et tout à coup ..Tac tac tac tac tac tac…Une terrible rafale nous cloue sur place… »

Les liaisons avec l’arrière sont difficiles, voir quasi inexistantes, malgré le courage des agents de liaison. L’artillerie française gênée par les mauvaises conditions météorologiques, est mal informée des positions conquises, et effectue des tirs trop courts, semant là aussi la mort et la panique parmi les coloniaux. Partout aussi, ce jour-là, au-dessus du Chemin des Dames, l’aviation française d’observation éprouve de grandes difficultés pour supporter l’offensive, tandis que l’aviation allemande dispute aux aviateurs français le ciel du champ de bataille. À 9 heures du matin, le Général Guérin signale que ces régiments sont épuisés et ne peuvent plus fournir d’assauts offensifs. Ordre est donné de tenir les positions conquises et de les organiser pour faire face aux contre-attaques allemandes. 

Fin de l’attaque et bilan de la journée

Dans l’après-midi, des soldats de la 35e DI ainsi que des unités de la 38e DI stationnés dans le secteur arrière sont envoyés pour relever les tirailleurs sénégalais. À 17h30, le Général Blondlat ordonne lui aussi à ces troupes de tenir et de consolider les positions conquises.

Ce jour-là, les pertes estimées des divisions d’attaque du 2e CAC s’élèvent pour la 10e DIC à 150 officiers et 5000 hommes tués blessés ou portés disparus (dont la moitié sont des tirailleurs sénégalais), et à plus de 1700 officiers et hommes de troupes tués ou blessés pour la 15e DIC. Parmi les survivants du 5e RIC, le lieutenant du Montcel écrit :

« La nuit est maintenant complète. Le silence et l’obscurité m’enlèvent le peu de moyens qui me restent et mon désarroi est sans bornes… Je ne tiens plus debout, et, comme un chien qui tourne avant de se coucher, je cherche un endroit propice pour m’étendre. Mais la pluie s’est mise à tomber et le sol est partout gluant et boueux. Toujours la pluie pour nous achever. À bout de force, je m’assieds sur place, et comme le froid me pénètre, je défais mon sac de couchage que je porte en sautoir. Je ne peux y introduire que mes jambes car mon équipement me gêne pour y pénétrer plus avant. Adossé à un mur de terre, je reste ainsi, morne et accablé, sans autre pensée que celle de la mort toujours présente et qui nous attend au jour. Palmier est pelotonné à côté de moi, dans le noir. Nous nous retrouvons tous les deux comme aux jours de grande misère, silencieux l’un et l’autre, immobile sous la pluie qui tombe doucement. Peu à peu, sous l’effet de l’écrasante fatigue, mes yeux se ferment. Des lueurs apparaissent à travers mes paupières, et je sombre dans un sommeil glacé. »

Dans le journal de marche du 58e RIC, un autre officier français écrit, comme une conclusion à cette éprouvante journée : 

« La nuit du 16 au 17 avril, la journée du 17 au 18, le bombardement, les mitrailleuses ennemies n’ont pas cessé. La pluie, les giboulées, la neige tombent par intermittence et c’est dans une boue liquide et glacée au milieu d’un charnier horrifiant que les tirailleurs assurent le maintien de leurs lignes. » 

Yves FOHLEN
 
Sources :
 SHD GR 26 N 246/3 – JMO du 2e CAC 
SHD GR 26 N 474/4 – JMO de la 10e DIC 
SHD GR 26 N 476/3 – JMO de la 15e DIC 
SHD GR 26 N 333/4 – JMO de la 38e DI 
Joseph Tézenas du Montcel, L’Heure H étapes d’infanterie 14-18, Éditions Economica, Paris, 2007
R.-G. Nobécourt, Les Fantassins du Chemin des Dames, Éditions Bertout, Luneray, 1983 
Histories of Two Hundred and Fifty-one Divisions of the German Army. London Stamp Ech Ltd. 1919
 

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